Appel à écritures
L'appel à écritures c'est fini !
Merci à tous ceux d’entre vous qui nous ont fait plaisir de répondre à notre appel. Vos nouvelles amusantes, insolites, inquiétantes, émouvantes, ou encore poétiques ont eu beaucoup de succès.
Nos publics ont du talent. Nous n’en doutions pas. Nous sommes heureux d’en avoir apporté la preuve !
Vous aimez écrire ? Ce temps retrouvé vous inspire des histoires sympathiques, drolatiques, mélancoliques, voire dramatiques ?
Lancez-vous et proposez-nous une nouvelle, une saynette sur le thème "être confiné en ce printemps 2020".
Vos écrits seront mis en ligne sur cette page et un jury de bibliothécaires désignera les meilleures productions qui entreront dans les collections numériques des médiathèques.
Pour participer :
- Envoyez votre histoire (maximum 4000 signes) en format texte (fichier word, open office...) via le formulaire de participation.
- Aucune limite d'âge : Tout le monde peut participer !
- Participation ouverte du 7 avril au 31 mai.
Le lauréat
Levée d'écrous de Saparmurat O.
Tous les écrits reçus seront mis dans nos collections sous forme de recueil et tous les participants recevront un exemplaire papier.Ils seront aussi disponibles prochainement à la lecture dans le catalogue en ligne de la e-médiathèque.
Vos histoires
- Des vainqueurs ? Et comment qu'il y en a eu ! Et il y en a encore ! Et ils sont pléthore! Toute une tripotée que je pourrais t'égrener mieux qu'au Tilawat ! Mais Allah le miséricordieux m'en est témoin, je ne serai pas disert en la matière et c'est très bien comme cela. » répliqua doctement Milad, laissant son acolyte bien perplexe face à ce qu'il lui semblait plus dur à interpréter que le plus abscons des hadîths. Après tout, il se rappelait aussi que le Shah s'était lui-même bien fait les griffes sur les adobe et stucage perses, laissant des sillons encore visibles et douloureux sur les corps de qui avait croisé les routes de la Savak... Mais d'aucuns ne partageaient pas l'avis. C'était ainsi.
« Bordel Sohrab ! Tu connais l'tarif, pas d'taarof ! reprit rageur Milad, tu m'as encore refourgué tes tomans pourris ! Tu crois que je vais pouvoir écouler ce torche-fion à Bassorah !? Même le cours du soum au souk de Tashkent est meilleur! Merde ! j'ai une femme et des gosses à nourrir, une belle-mère que j'entretiens sous mon toit – puisse Allah la rappeler à lui après moi, bien après mes fils, et même bien après les fils de mes fils- et... »
La lignée agnatique appelée à retourner ad patres avant l'aïeule aurait pu être bien plus conséquente si Milad n'avait été interrompu dans son énumération par des aboiements lointains.
Dans les rues d'Abadan, dans le Khuzistan iranien proche de la frontière avec l'Irak, les bassidjis, paramilitaires au service de Khamenei, épiaient, comme partout dans le pays, les faits et gestes des habitants. Les qualités de poliorcète du régime baassiste y furent aussi rudement éprouvées entre 1980 et 1981, mais les puinés d'Uruk et de Suse paraissaient bel et bien avoir oublié cette déconvenue... Sohrab et Milad échangèrent un bref regard, se turent, puis s'estimant enfin en sécurité, reprirent le cours de leur transaction.
Chatt-el-Arab pour Bagdad. Arvandroud pour Téhéran. On s'était foutu sur la gueule pour de la flotte. On avait bombardé, fusillé, molesté, gazé, énucléé, sorti des yeux de leurs orbites, arraché des nez de leur visage, des bras de leurs troncs, laissé des moignons pour signature, on avait relégué le conflit des Malouines au rang de querelle de récréation et Noriega ne semblait faire que du troc de lance-pierres avec la Contra nicaraguayenne ... Toute une capilotade rampante depuis trente ans qu'on exhibait çà et là de part et d'autre de la frontière entre les festivités de Nourouz et d'Achoura quand on ne commémorait pas les disparus le long des grands axes routiers, une photo du défunt flanquée de celle du Guide suprême ou du Raïs.
Sorhab et Milad n'en avaient que cure, qui troquaient de l'alcool contre quelques billets sur le parking d'une station-service. Si le Bassidj passait par ici, foin de fouet, ils finiraient raccourcis. Et dépouillés.
Il n'en fut pourtant rien et Milad put repartir rejoindre les siens en Irak cependant que Sohrab reprit la route du Fars. Direction Shiraz où l'attendait son épouse Katayoun, « son Azérie sur le gâteau » sobriquet un peu lourdingue que Vahid, un ami de Sorhab devenu-disait-on- commercial à Paris, se plaisait à lui donner en français dans le texte. Originaire de Tabriz dans la région de l'Azerbaïdjan oriental, Katayoun exerçait la profession de guide polyglotte à Persépolis et Pasargades, berceaux encore apparents de la dynastie achéménide. Elle y convoyait des touristes devenus aussi rares que les devises étrangères depuis le retrait des Etats-Unis des Accords de Vienne sur le nucléaire iranien et le retour des sanctions internationales contre la République islamique d'Iran en mai 2018. Sorhab l'avait rencontrée au cours de ses études supérieures que le jeune homme avait dû interrompre pour subvenir aux besoins de sa famille, acceptant divers emplois au bazar de Shiraz, tous mal rémunérés. Il avait fini par se muer en chauffeur officiel de Katayoun, l'accompagnant dans ses expéditions, conduisant le quidam d'ailleurs à la Porte des Nations, aux tombeaux des poètes Hafez et Saadi ou dans les plus beaux jardins fleuris de la capitale du Fars.
Ainsi, s'ils avaient pu convaincre leurs familles respectives de la solidité de leurs sentiments l'un pour l'autre, les deux amoureux n'en subissaient pas moins les affres d'un foyer en voie de paupérisation.
Quoiqu'ait pu en dire la propagande gouvernementale ou les théologiens de Qom depuis le mois de février dernier, le couple était aussi très inquiet de la situation sanitaire internationale. Ce virus qui circulait dans l'air, n'était-il que le fruit des décisions unilatérales de Washington à l'endroit de la mère patrie, et cette dernière avait-elle vraiment pris toutes les mesures qui s'imposaient? Katayoun toussait et souffrait de fièvre depuis deux semaines. Les hôpitaux shirazi, tous débordés, et jugeant son cas peu critique, l'avaient renvoyée dans ses pénates pour s'y reposer. Dans quelques jours cela irait mieux. La prière y aiderait s'était-on permis d'ajouter. Sous un régime qui avait su faire de la réclusion, symbolique ou réelle, une arme de choix, le confinement semblait paradoxalement inconnu. Katayoun et Sohrab s'étaient donc retirés du siècle de leur propre chef. L'état de la jeune femme ne semblait pas montrer de signes d'amélioration.
Une excursion en solitaire vers le Khouzistan devenait inéluctable aux yeux de Sorhab. En plus du carburant nécessaire pour se rendre à Abadan, l'emprunt contracté auprès de ses cousins lui permit de faire l'acquisition de quelques bouteilles d'un alcool qu'on prétendait si efficace contre la maladie dont souffrait son épouse.
Quand il revint nuitamment à son domicile, Sohrab lava précautionneusement ses mains puis remplit un verre de méthanol, le servit à Katayoun qui le vida d'un trait. Pour répondre aux insistances de son époux qui, comme pour l'encourager, l'avait accompagnée dans sa soûlographie débutante, elle en reprit un second, puis un troisième.
Plusieurs jours et nuits passèrent. Le confinement avait été enfin décrété dans le pays et respecté plus ou moins dans le Fars où l'on recensait approximativement, comme partout ailleurs, le nombre de victimes. Les proches du couple s'inquiétèrent de leur silence. Plus qu'à du mépris leur comportement fut finalement associé à une ascèse, un exercice les rapprochant un peu plus du divin en ces temps obscurs. Allah seul savait sur quelles eaux troubles ils naviguaient à ce jour. Allah qui dans son infinie mansuétude les délivrerait bien des souffrances terrestres pour un instant ou pour toujours.
Jerry s'était donc rangé pendant presque dix ans. Jusqu'à l'arrivée de madame Véran en octobre 2016, sa nouvelle voisine de palier. Cette nonagénaire, originaire de Saint-Martin d'Hères en Isère avait pris Jerry en affection depuis ce dimanche matin où ce dernier l'avait grassement rémunérée pour « avoir gardé pendant trois-quatre jours deux-trois bricoles dans son appart' » selon l'enquête de voisinage ...et Jerry, allez savoir pourquoi, entretenait un amour presque filial avec celle qu'il appelait affectueusement « la vieille » et qui ne recevait la visite de personne, n'étant les Témoins de Jéhovah, « ces enfoirés d'illuminés que j'te pendrais par les valseuses » dixit Jerry devant le tribunal... Aussi, quand madame Véran lui confia sa carte bleue ainsi que son numéro confidentiel pour effectuer des achats dans un hypermarché plaisirois le 14 septembre 2017, Jerry n'y trouva rien à redire, pressé qu'il était de rendre service à son amie.
Trois jours plus tard, le 17 septembre 2017, madame Véran fut bien embêtée pour justifier, auprès de son banquier qui l’appelait, l'acquisition sans provision de cinq téléviseurs écrans-plats LCD Sony, trois MacBook pro et huit réfrigérateurs de marque Laden. La « vieille » ne se souvenait plus très bien du déroulement de ladite journée mais elle se disait prête à couvrir tous les impayés.
Comme madame Véran un soir de souper de mars 2018 on pensait donc l'affaire condamnée à rester étouffée.
C'était sans compter sur le sens citoyen de madame Salomon, résidant à l'étage inférieur à celui de Jerry, et témoin « de drôles de va-et-vient » nocturnes dans l'immeuble durant tout l'été 2018. C'est en tout cas ce qu'elle révéla aux gendarmes, qui, forts d'un faisceau de présomption, finirent par appréhender Jerry le 13 décembre 2018 à son domicile à 7h27.
Multirécidiviste, Jerry écope de quatre années ferme avec mandat de dépôt immédiat et est conduit à la prison de Fleury Mérogis une fois la sentence rendue. Arrivé aux quartiers des arrivants, une fois les registre et acte d'écrou homologués, Jerry, coutumier des lieux, s'attend à recevoir la visite du seigneur des oubliettes. En effet, un petit homme malingre à la voix fluette que n'aurait pas renié le défenseur des droits, finit par le convier pour un entretien censé vérifier que Jerry ne souhaite pas tout de go numéroter ses abattis...Rompu à l'exercice, Jerry affiche un air patibulaire, prêt à exiger de ses geôliers des avantages eu égard à son grand âge et fort de ses états de service dans tous donjons hexagonaux.
« Monsieur » -commence gravement le directeur- « tout jean-foutre que vous êtes, vous n'êtes pas sans être au fait de l'actualité. Je fais bien sûr référence à l'épidémie du Covid-19 qui sévit partout dans le monde et dont l'épicentre se situe actuellement en Europe. Le président de la République ne l'a pas encore annoncé officiellement, mais le pays sera bientôt réduit au confinement pour une durée encore indéterminée, je vous annonce là un scoop !
Toute crapule avérée que vous êtes, vous n'en êtes pas moins une personne âgée et le risque sanitaire que vous représentez en ces lieux est bien plus important que le risque sécuritaire pour la société. Aussi, en accord avec le tribunal correctionnel de Versailles, votre peine sera aménagée et la levée des écrous est programmée pour le lundi 22 mars suivant. Un bracelet électronique vous sera attribué avec une obligation de présentation hebdomadaire au commissariat le plus proche de votre domicile ces 24 prochains mois. Vous devrez en outre effectuer des travaux d'intérêt généraux à l'usine UPS de Plaisir pendant 18 mois à compter de votre libération. Il demeure de votre responsabilité de prendre contact auprès de l'administration dont les coordonnées figurent dans les documents qui vous seront remis. »
L'entretien n'aura pas duré plus de trente minutes et la détention moins de dix jours. A peine Jerry aura-t-il pu cantiner quelque quelques mégots et litrons pour s'entretenir quand vient sa libération anticipée. Le lundi 22 mars à 16h, Jerry arbore les rues de sa ville déserte, soumise à un arrêté ministériel dont il ne connaît pas encore la teneur. Près de son immeuble, un agent municipal l'appréhende et lui demande une attestation de circulation « Tu m'as pris pour un blédard ? Tu m'vois tous les jours au Balto tocard ! » se rebiffe Jerry. Verbalisé. 135 euros. Sont susceptibles les condés…
Deux jours plus tard, il se rend cahincaha au local d'UPS plaisirois où il doit effectuer ses TIG pour les dix-huit prochains mois. L'openspace est gigantesque, une myriade d'employés y officie, conditionnant cartons et courriers, qui parlant mandarin, qui farsi, qui bambara. Confinement, connait pas. « Le client chez lui attend son colis ! » harangue un petit chefaillon dans son masque, marquant tout de même une distance réglementaire depuis une vague révolte des employés la semaine passée. Il est loin Gérard Filoche ! En fait de sécurité on n'aura pas mieux...
Le 28 mars 2020, Jerry Ratsonanama décèdera du Covid-19 à l'hôpital André Mignot à 19h18.
Nouvelle organisation...
Sitôt levée, époussetée, toilettée
la journée
commence...
enfin presque
Petit déjeuner
les pieds
sous la table, la tartine dans le bec
lecture journal ou télé infos
très peu, c'est toujours le même topo
il f'drait changer un peu !
Motivée ?
messages boulot
on se met au taf
Pas simple de tout faire coïncider
De jongler
avec les dossiers, les fichiers
et les collègues
pause casse croûte ou plat amélioré
sieste autorisée
direction atelier clandestin
couture, jardin, tricot, lecture,
écriture,
bricolage
et on se téléporte
en classe
c'est pas de la tarte
surtout lorsqu'on a quitté
l'école
il y a des lustres
casse croûte,
veillée
bien méritée
et dodo
demain
on recommence
même progr'mme
ou presque...
nouveau défit,
nouvelles aventures
pour combien de temps
enc'ore.
des jours, des semaines
des mois ...
et...
à bientôt
9h15, je suis à mon ordinateur, lavée, caféinée, nourrie, prêtre pour ma journée de télétravail.
Epuisant le télétravail quand on n'en a pas l'habitude ni les moyens techniques.
Des visio réunions en courant alternatif, des micros crachotant couvrant les propos des 10 autres collègues dont la bobine s'affiche en médaillon à la gauche de l'écran. Une prise de décision poussive. Normal, personne ne sait où on va...
Mais pas de réunion ce matin. Je me mets donc à un dossier en souffrance (souffrance réciproque) et m'apprête à me racler les méninges alors que j'aimerais mille fois mieux aller me faire dorer au soleil. Oui, je fais partie des chanceux qui ont un jardin. Pour une fois qu'habiter au bout du monde présente des avantages !
J'allume mon ordinateur. 10 secondes. Le téléphone sonne. Ma mère. Je décroche. C'est ma mère après tout.
- Ma puce, c'est moi. Je ne te dérange pas (affirmation et non question).
- …
- Comment vas-tu ce matin ? Pas de température ? Je suis bien obligée de t'appeler, sinon, je n'aurais jamais de tes nouvelles
- On s'est parlé hier soir, non ?
- Et alors, il suffit de quelques heures pour que nos vies basculent en ce moment... soupir... tu te souviens de madame S.
- ??
- Mais si, tu sais, tu allais chez elle au caté.
- ...
- Et bien figure toi qu'elle l'a, elle, le covid. Et qu'elle va peut-être en mourir.
- ...
- Ca m'a empêchée de dormir toute la nuit. Je te ferai remarquer que j'ai un an de plus qu'elle.
- Tu lui demandé son âge ?
- Ne dis pas de bêtise ! Aux élections municipales, pas cette année, tu penses que je ne suis pas aller voter, mais il y a, quoi, cinq ou six ans, j'ai vu sa carte d'identité. Elle fait plus, non, tu ne trouves pas ?
Bruit de clavier
- J'entends que je te dérange... Oui, je sais, pour votre génération, le travail passe avant la famille. Ah là là. Ton pauvre père me le disait toujours. Tu vois, quand j'y pense, je suis heureuse qu'il ne soit plus là. Au moins, il ne subit pas cette crise sanitaire.
- Heu, il aurait peut-être préféré vivre, lui, nan ?
Oui, je sais, je ne devrais pas faire de la provoc', mais franchement, elle me saoûle. Hâte de retrouver mon dossier en souffrance.
- On ne peut jamais discuter de rien avec toi. Allez, va, je te laisse à ton travail, à tes amis, car avec eux, je suis bien certaine que tu es plus loquace.. Je vais téléphoner à Madame S. pour prendre de ses nouvelles. Tu m'appelles ce soir ? Tu sais, ils le disent bien, à la télé, qu'il faut prendre des nouvelles des anciens.
- Oui, j'appelle ce soir à 18 h. Comme tous les soirs !
Je coupe mon téléphone et, pleine de bonne volonté, tente de me remettre à mon dossier.
Soupir. Manque d'inspiration. Soupir. Fait ch...
Ah, puis zut. Je vais peut-être mourir demain du covid 19, hein, alors au diable le boulot.
Un peu plus tard, allongée sur ma chaise longue, un bouquin à la main, j'éprouve quelque remords. Je vais peut-être mourir demain, mais en attendant je suis payée... à bronzer ! Un ange blanc à la Milou me chuchote avec componction que je dois aller bosser tandis qu'un petit diable rouge me chantonne à l'oreille « dans la vie faut pas s'en faire... ».
Moi je vous le dis : vivement la fin du confinement. Au moins, je ne me prendrai pas la tête avec ce genre de question metaphysique ! En plus, côté maternel, j'aurai la paix. Je n'ai jamais donné à ma mère mon numéro de boulot !
Mais dans quel état laissions-nous cette terre dans laquelle nous étions destinés à reposer pour l’éternité ?
Nous n’en avions cure, ce qui comptait, toujours et pour tous, c’était le présent. Nous ne voulions réfléchir décemment aux conséquences de nos actes.
Donner la priorité à la finance, aux actionnaires, à la technologie, au progrès. Mépriser le passé, ne retenir aucune leçon, fermer les yeux devant la planète qui se meurt et les animaux victimes de notre cruauté.
Aller en forêt pour se balader le dimanche en famille, oui bien sûr. Regarder en face la déforestation et ses conséquences désastreuses, trop déprimant. Et puis pas le temps. Les journées filent à une vitesse folle. Le boulot, les enfants, la maison, la famille, les amis, les crédits, les vacances et rebelote. Chaque jour. Donc penser à ce qui se passe réellement au-delà de son foyer… il faudrait des journées de 48h pour ça.
Oui, les journées passaient à une vitesse folle et les années défilaient sans qu’on ait eu le temps de finir les plans de la maison de ses rêves, ou bien le programme de cette destination de vacances idyllique, pour quand on aura assez économisé. Peut-être dans un an ou deux…
Et puis c’est arrivé. Et puis on en a eu du temps. Et on en a encore, parce qu’on ne sait pas quand on pourra reprendre notre cher quotidien si bien cadré. On ne connaît même plus l’avenir à court terme. C’est dire…
Oui voilà, j’ai du temps, des journées, des heures, des semaines, des mois peut-être, à ma disposition. Que faire de tout ce temps ? Je suis confinée chez moi. Je n’ai ni femme, ni enfant, ni ami, ni chien, ni chat avec moi. Je suis seul dans mon appartement. Et puis je ne suis pas sportif ; trop de révélations d’une passion pour le jogging ces temps-ci.
Donc je ne sors pas.
Au début cela m’angoissait tellement, rester enfermé chez moi, mais qu’allais-je pouvoir faire ? Je n’ai pas l’habitude de stagner dans mon appartement. J’aime sortir, voir du monde, aller boire un coup avec des collègues après le boulot.
Puis maintenant, au bout de trois semaines de confinement, je ne vois même plus l’intérêt de sortir. J’ai la chance d’avoir un jardinet, alors pourquoi prendre le risque d’être contaminé en mettant le nez dehors. Ma mère m’avait tellement rempli mon congélateur quand ils ont commencé à parler du virus, que je pense avoir de quoi manger pour des années. D’ailleurs ma mère est la seule personne que j’appelle encore. Comme elle est à la retraite depuis plusieurs années déjà et qu’elle est très casanière, elle ne remarque pas vraiment de différence entre aujourd’hui et l’avant-confinement. Ce qui me permet d’avoir des conversations simples sans propos alarmistes, comme c’était le cas avec mes amis et collègues, que je n’appelle plus.
Travailler pour une compagnie d’assurance n’était déjà pas l’extase pour que je garde un quelconque lien avec ce milieu aujourd’hui. Puis mes amis ne me manquent pas, bizarrement. Ils sont tous en couple ou en famille et passaient les premiers temps du confinement à me plaindre pour ma solitude alors que je m’évertuais à leur répéter que j’en étais entièrement satisfait. Faut croire que la différence de point de vue dans une situation commune n’est pas acceptable pour tout le monde.
Alors voilà. Je suis là dans ma chambre, les stores baissés car le soleil brille trop fort dehors. Je ne sors dans mon petit jardin que quand la nuit est tombée. J’aime regarder les étoiles et écouter le silence, qui en dit bien plus sur cette situation étrange que tous les gens qui passent leurs journées à prendre la parole pour un oui ou un non.
Passer mes journées dans l’obscurité de mon appartement, sans prendre connaissance des dates et des heures qui défilent, m’enveloppe d’une sensation d’apaisement. Je ne suis plus obligé, de rien du tout. Ni de me laver, ni de manger à heure fixe, ni d’aller travailler, ni de discuter avec des gens. Je suis seul avec moi-même et j’aime ça. Néanmoins, je n’arrive plus à trouver de sens à tout ce qui m’entoure. Pourquoi suis-je là ? pourquoi allais-je travailler ? pourquoi chercher une partenaire de vie ? pourquoi ai-je autant d’objets chez moi ? à quoi sert de voyager ? pour voir quoi ? qui ?
Pourquoi suis-je sur Terre ?
Je sais que les réponses existent et qu’elles me plairont quand je les découvrirai. Mais ce n’est pas ici que je vais pouvoir les trouver. Elles sont au centre de la Terre, dans le noyau de l’humanité, et je dirais même de toute forme de vie. Elles sont dans la Nature. J’aimerais être un animal et rentrer chez moi, dans la forêt. Ne plus avoir à les suivre tous, eux et leur société bidon.
Depuis quelques jours je vois mes poils pousser. Comme si je regardais une de ces vidéos en accéléré de l’évolution d’une jeune pousse en une belle fleur. Sauf que là ce sont mes poils. C’est moins glamour. Ils ne poussent pas tous en même temps, mais plutôt par zone. Hier c’était sur mes bras, avant-hier sur mes jambes, et aujourd’hui sur mon visage. Étrange.
Je me réveille ce matin avec les cheveux deux fois plus longs que la veille. Est-ce que j’aurais attrapé un autre virus que celui qui nous force tous à rester chez nous ? est-ce que j’aurais attrapé une mutation du virus qui transformerait les gens en bêtes ?
Moi qui ai toujours été très brun, me voilà en train de devenir roux. Non seulement mes cheveux (enfin, ma tignasse maintenant) mais également tous les poils de mon corps. Comme c’est étonnant. J’ai toujours trouvé les roux beaucoup plus beaux et mystérieux que les communs bruns et blonds. Serais-je en train de devenir une version améliorée (et plus poilue) de moi-même ?
J’ai faim, terriblement faim comme si je n’avais pas mangé depuis des jours alors que cela ne fait que quelques heures que je n’ai rien avalé. J’ai ouvert mon congélateur mais plus rien de ce que je trouve là-dedans ne me fait envie.
Ce soir je suis allé dans mon jardin et je me suis allongé dans l’herbe. Elle est haute et pleine de toutes sortes de plantes. Il faut dire que cela fait bien longtemps que je ne m’en suis pas occupé. Je suis resté tapi dans l’herbe fraîche dont les odeurs, comme des milliers de flacons de parfums débouchés, venaient exploser dans mes narines. Un bruissement dans un petit buisson a éveillé ma curiosité. Sans bouger j’ai fixé l’endroit d’où venait le bruit lorsque j’ai vu sortir ce petit mulot. C’était comme si je me téléportais. Je lui ai sauté dessus à la vitesse de l’éclair et l’ai dévoré en quelques bouchées. Jamais mets ne m’avait semblé plus délicat.
Ce matin devant la glace j’étais ébahi. Maintenant je ne peux m’empêcher de les toucher à chaque minute. Deux longues oreilles couvertes de fourrure rousse se trouvent en lieu et place de mes oreilles d’origine. Elles sont bien plus intéressantes et j’ai vraiment l’impression d’entendre des sons que je n’avais jamais entendus avant. Comme les oreilles classiques sont limitées en termes d’écoute !
Aujourd’hui on a frappé à ma porte, mais je ne suis pas allé ouvrir. Je suis méfiant vis-à-vis des hommes. S’ils viennent à toi c’est rarement pour quelque chose de positif. En général il y a toujours un vice caché, une requête, un profit, la destruction. Je sens leur odeur bien avant qu’ils soient devant ma porte ou derrière mon jardin. Mais je sens qu’ils veulent me tendre un piège.
Je ne me déplace plus qu’à quatre pattes. Mon corps a subi de nouvelles transformations qui ne me permettent plus de me déplacer sur deux jambes. Je me sens plus agile et plus à l’aise dans cette position de toute façon. Je ne peux plus atteindre le miroir pour voir à quoi je ressemble à présent et c’est tant mieux. Toute cette importance que l’on accorde à l’apparence, mais à quoi cela nous sert-il maintenant que le monde est en train de mourir ? Que de futilités…
Je ne suis plus à l’aise chez moi, je me sens comme en cage, je tourne en rond, je suffoque, il me faut de l’air, un autre air que celui que je peux respirer à la nuit tombée dans mon jardin. J’ai besoin de sortir. Tout me semble trop petit. Je les vois, toutes les limites, toutes les barrières de ce monde.
Même si je pouvais aller en pleine nature il y aurait toujours une fin, une limite, à cause des hommes. Même en plein cœur des plus grandes forêts, on finit toujours par arriver à une ville. Même si je pouvais marcher pendant des semaines et des mois pour traverser des immensités désertes ou des massifs montagneux, je finirais toujours par arriver aux constructions de l’homme, à son gâchis de la nature.
Je me pose des questions et je sais que les réponses ne sont pas là. J’ai déjà réalisé, il y a quelques temps, que les réponses étaient dans le noyau de la vie sur Terre. C’est donc là qu’il faut que je me rende. Que je quitte ce monde de fous qui est en train de pourrir.
Mon téléphone sonne je ne sais combien de fois chaque jour. Je ne supporte plus sa sonnerie. Quand je l’ai pris pour y jeter un coup d’œil, j’ai juste vu une notification d’information qui disait que le confinement était prolongé de manière indéterminée car la propagation du virus ne baissait toujours pas. J’ai tout de suite jeté mon téléphone dans les toilettes. De toute façon ça fait bien longtemps maintenant que je fais mes besoins dans le jardin, que je mange dans les hautes herbes et que je dors le museau dans ma queue touffue rousse à pointe blanche.
Un tunnel. Je dois creuser.
Je commence dans mon jardin à partir de minuit pour ne pas être repéré par des voisins curieux.
Je creuse maintenant depuis des nuits et des nuits. La Lune de printemps (et bientôt d’été) m’accompagne et éclaire mon entreprise. Le tunnel s’allonge de plus en plus, je vais de plus en plus profond dans la Terre. Quelques lucioles viennent m’éclairer dans ces profondeurs quand les rayons de Lune ne peuvent plus rien pour moi.
Au bout d’un temps qui me semble infini et court à la fois, je me retrouve à passer autant de temps à descendre et remonter qu’à creuser, tellement mon tunnel devient long.
Je remonte de plus en plus tard dans la matinée, prenant le risque de me faire voir. Cela devient dangereux.
Ce matin, j’ai dû me ruer à l’intérieur après avoir émergé car le soleil brillait alors de mille feux. J’ai osé regarder la pendule que je n’avais plus remarquée depuis une éternité. Il était presque midi. Vraiment, je ne vais pas pouvoir continuer comme ça.
Ce soir c’est décidé, je ne remonterai pas. Je ne le peux plus. Je vais devoir aller au bout. Je décongèle mes dernières provisions que j’emballe dans un tissu que je porte dans ma gueule. Minuit venu, je suis au bord de l’entrée du tunnel. Je dis au revoir à la Lune en la remerciant pour son aide toutes ces nuits, et demande aux lucioles si elles accepteraient de m’accompagner vers cet inconnu définitif. Elles tremblent, hésitent, puis acceptent.
Nous nous enfonçons dans le tunnel. Nous descendons pendant ce qui semblent être des heures et des heures avant d’arriver à l’endroit où il faut continuer à creuser. Je me mets alors au travail. Je creuse, sans plus aucune notion du temps, de sensation de douleur dans mes pattes, de faim ou de soif.
L’éternité. L’univers. La Terre. Les planètes. Les étoiles. Le temps, qui n’a plus aucun sens ici. Depuis combien de temps suis-je là ? Des jours. Des semaines. Des mois peut-être. J’ai creusé, creusé et encore creusé. Les lucioles sont parties depuis longtemps, elles ont décidé de remonter à la surface. L’air se fait très rare. Mes provisions sont à présent réduites à un morceau de pain moisi et une vieille croûte de fromage. Je n’ai plus d’eau.
En-haut, à des milliers d’années lumières de l’endroit où je me trouve, peut-être la vie a-t-elle repris. Sûrement le confinement est-il terminé.
Et les gens sont ressortis. Et ils ont repris leur vie, leurs habitudes, leur travail, leur fameuse place dans la société. Et finalement rien n’a changé. L’argent mène le monde entier par le bout du nez, la Nature suffoque, les animaux s’éteignent, les humains courent dans tous les sens, passent par tous les chemins sans jamais s’arrêter ni prendre le temps de lire les panneaux. Ils continuent à passer à côté de leur vie. Comme moi, il y a si longtemps, ils vont boire des coups entre collègues en sortant du travail. Leurs sentiments sont en plastiques, leurs émotions en pétrole, leurs expériences de vie en lingots d’or. Rien n’est plus réel qu’avant, rien n’est plus sain. Mais ils ont repris leur vie et moi je suis en train de mourir, seul, dans les confins de la Terre.
Je ne sais plus comment je m’appelle. Je ne sais plus si l’univers entend mes pensées. Je n’ai plus mangé ni bu depuis des jours, je suis à bout de force. Mais même si je le pouvais, je ne remonterais pour rien au monde dans ce monde de fous. Ma jauge d’énergie est au plus bas, mais je décide d’utiliser le peu qu’il me reste pour creuser une dernière fois.
Je creuse, je creuse, je creu…se, je creu… je…
Mais… qu’est-ce que… ?
Il me semble sentir un si mince filet d’air !
Il… il me semble entrevoir un rayon de lumière, si ténu.
Une énergie que je croyais enfuie reprend possession de mon corps et je creuse avec plus de force que je n’en avais eue depuis longtemps.
D’un ultime coup de patte, je libère les derniers morceaux de Terre, et débouche sur une lumière. La lumière. Elle envahit tout mon champ de vision, si blanche, si éclatante, totale. Après ce si long tunnel dans les ténèbres je suis complètement aveuglé. Je protège mes yeux de mes pattes.
Je tombe à la renverse, ne pouvant plus porter mon corps pourtant si amaigri.
Je me sens atterrir dans un lit d’herbe moelleux et frais. Une douce brise caresse mon pelage. Une odeur fleurie envahit ma truffe.
Au bout d’un moment, j’entends quelqu’un approcher, et je sens qu’on me renifle.
« C’est un renard ! ».
J’ouvre enfin les yeux.
Devant moi se trouvent toutes les réponses que j’avais tant désiré trouver. À l’infini, le monde le plus beau et le plus sain qu’il est impossible de voir ailleurs. Car il n’existe qu’ici. Des plaines illimitées, des forêts éternelles, des animaux de toutes sortes autour de moi, la Lune et le Soleil ensemble, les étoiles qui brillent même en plein jour, des lacs d’une pureté inimaginable, des rivières scintillantes. Toute la Nature et tous les êtres ici existent, sont vivants et absolus, ne connaissent aucune limite, aucune barrière, aucune destruction. Rien ne peut altérer leur vie et leur essence, tous sont éternels et d’une santé unique, irréelle, magique, car un seul être n’existe pas dans ce monde : l’humain.
Je soupire. Bien sûr, j'ai la chance de ne pas être contaminé. Je suis chez moi, à l'abri, bien tranquille. Donc je n'ai pas à me plaindre.
Mais je suis seul.
Bien sûr, j'ai mes parents au téléphone régulièrement. J'ai quelques amis avec lesquels je suis en contact de temps à autre. Mais sinon ma vie sociale est proche du zéro absolu. Je ne sors presque pas de chez moi.
Mais c'est quand je me mets à la fenêtre que ça me fait le plus mal.
Parce que je vois les maisons.
Et derrière… la forêt.
Elle me manque. Elle me manque terriblement. La forêt, c'est une bouffée d'oxygène. Un endroit où beaucoup de choses sont encore possibles. Un endroit où on peut changer de peau l'espace d'une promenade. Je comprends pourquoi elle était si chère à Tolkien.
C'est un monde à part. Un monde où je ne peux plus aller, désormais.
Enfin, où je ne peux plus aller matériellement.
Je remonte dans mon bureau. Je jette un coup d'œil tout autour de moi. Ils sont là.
Mes livres.
Je ne peux m'empêcher de sourire. Heureusement qu'ils sont là. Sans eux, je ne sais pas trop ce que je ferais. J'ai feuilleté le programme télé : rien. Les habituelles séries policières, qui repassent pour la 1268e fois. Le gendarme de Saint-Tropez, rediffusé, lui, pour la 35437e fois. Comme s'il n'y avait que lui dans la filmo de de Funès… Quant à mon ordi, il est cassé. Depuis deux jours. C'est bien connu : les emmerdes, c'est comme les moineaux, ça arrive en bande. Alors je lis. Ma bibliothèque est pleine à craquer. Elle craquera probablement, un de ces jours, d'ailleurs. Et il n'y aura pas d'ouvriers pour venir réparer. Ça ne fait rien. Ils sont là. Et c'est bien l'essentiel.
Je parcours les titres des yeux, un à un. Des livres d'histoire, d'abord. Ce sont eux qui me tombent sous le regard en premier. En même temps, c'est un peu inévitable, avec sept ans d'études dans ce domaine. Les trois tomes d'une Histoire du monde par un historien norvégien, Odd Arne Westad (je m'amuse parfois à prononcer son nom avec un très fort accent pseudo suédois, pour me faire rire tout seul). Histoire mondiale de la Guerre froide, du même auteur. Beaucoup de romans, aussi.
Mes yeux se reportent sur la surface de ma table de travail. Où sont leurs auteurs, à tous ces livres, me direz-vous ? Eh bien ils sont là. Devant moi. Leurs portraits encadrés me fixent. Il y a là une poignée d'historiens, vous vous en doutez.
Mais il y a aussi, il y a surtout, des écrivains.
Ce sont eux qui me transportent le plus. Les historiens ne peuvent pas écrire tout ce qu'ils veulent. Les écrivains, si. J'ai mes favoris directement face à moi. Il y a là Dino Buzzati, un Italien passé maître dans l'art de la nouvelle. Le genre de type qui transforme votre vision du quotidien en trois tours de plume. Ça, c'est que j'aime : remettre du merveilleux dans l'ordinaire.
Et puis Tolkien.
C'est lui que je préfère parmi tous. Avec sa bouille joviale de Hobbit, il me fait ma journée. Il y a bien des bouquins que j'ai lus en un clin d'œil. Mais aucun n'a fait mieux que le Seigneur des anneaux. Record absolu. Usain Bolt avait fait à peine la moitié de son cent mètres que je l'avais fini. Depuis, je l'ai peut-être relu cinq ou six fois. À la même vitesse. Comme si je ne le connaissais pas déjà par cœur. Le pire (ou le meilleur, c'est selon), c'est que je ne m'en suis jamais lassé. Il y a tout, dans ce bouquin. Tout ce qu'on peut espérer d'une histoire. Finalement, c'est ça, un livre : une porte ouverte sur un autre monde quand le monde de dehors nous est fermé. J'ouvre une page, au hasard. Puis une autre. Puis encore une autre.
Ça y est.
Je suis parti.
La femme sortit sa clé. Elle et son mari étaient inquiets. Après trois coups de fil, ils s'étaient résolus à venir. Leur fils ne leur avait jamais répondu. Il se passait quelque chose, c'était évident.
La clé tourna dans la serrure. L'homme et la femme entrèrent dans la maison. Un silence profond les accueillit. Ils se précipitèrent dans le salon : personne.
Mais un objet attira l'attention de la femme.
Sur le sofa, à l'endroit où il s'asseyait habituellement pour lire, un livre était posé. Il était encore ouvert, comme s'il l'avait laissé temporairement et devait revenir un peu plus tard.
Elle regarda l'image qui s'étalait sur la double page.
Elle représentait une forêt.
Il est vrai que je me plais à me poser souvent sur une pile de livres, à humer sur l’étagère les parfums de ces ouvrages qui ont vieilli ou viennent d’arriver, tous frais des rayonnages de la librairie. A croire que je suis venu en ce monde pour me délecter de leur seule vision. C’est le seul regard que j’ai sur ce monde. Moi, je veille sur eux et j’observe les errements des humains qui pourtant ont écrit sur des mondes meilleurs, sur des utopies comme ils disent. Mais, à force de trop regarder les étoiles, on finit par s’estourbir et perdre la raison. Est-ce à dire qu’il faille toujours aller de l’avant, même si on sait que l’issue n’en sera qu’imparfaite.
Il manque quelque chose à notre humain. Il n’a pas l’âme d’un funambule, comme moi, qui suis souvent perché dans un arbre ou aimant trouver l’équilibre sur un maigre faitage. Il n’a pas la démarche d’un stratège qui a toujours un coup d’avance ou pense dans l’action ce qu’il y a à faire. Penser dans le temps de l’action, voilà ce que j’ai toujours voulu signifier à l’humain. Mais, il s’engage à corps perdu sur des chemins périlleux, alors qu’il en oublie la mesure. Il se veut le maitre d’un petit monde, alors qu’il ne sait pas ce que c’est qu’agir d’instinct. A parler ainsi, on pourrait croire que la longueur de ma moustache en dit long sur ma vie et ce que j’ai traversé. La compagnie des humains m’a révélé que nous aimons marcher sur des chemins chaotiques. Et s’il fallait parcourir à rebours ses chemins, nous pourrions en tirer une œuvre filante et dansante. Je ne sais si je pourrais quitter définitivement l’humain et le laisser seul, à sa fenêtre, face au monde. C’est à lui de me dire si ma présence doit se faire absence ou si ma compagnie est encore source d’allégresse. Je sais que ces endroits où je me pose, à intervalle régulier ne sont qu’une suite répétée, chaque jour. Il en a besoin. Ainsi, il saura accepter la vie telle qu’elle est, avec ses événements heureux et malheureux et les voir se répéter indéfiniment. Tu le sais mon ami, je suis une étoile pour toi. La caresse souple sur mon cou lâche empli ton cœur d’un profond sourire.
Humain, penses-tu que je vais franchir le pas. Ne jamais me retourner pour revenir à mes premiers instants d’existence. Ils étaient soit périlleux mais si propices à se prélasser à longueur de journée et à entamer des parties de pattes endiablées, dans la plus grande insouciance. L’intranquillité, c’est avec toi que j’ai appris à la connaitre et à l’amadouer.
Humain, on me dit animal de compagnie. Mais ce qui se lie est aussi ce qui se délie. Avant que d’être un résident, j’étais un vagabond. Alors, notre vie commune n’est qu’une liaison éphémère. Demain, je peux franchir cette route qui borde ce pré, ou croiser malencontreusement un humain motorisé qui se livre à une grande partie d’accélérateur.
Humain, je vois bien que tu as pris le temps, en ces circonstances extraordinaires d’observer en retour, mes agissements. Habituellement, tu ne partages pas le même destin. Si, affairé et si apprêté que je te voie. Tu as donc fini par ralentir ta course éperdue. Le tumulte se fait moins oppressant à l’extérieur. La nature a peut -être retrouvé ses droits. Mais, il y a toujours un bruit de fond, comme un vieux poste radio qui grésille pour saisir la bonne onde. Là est la question, quelle sera cette onde ? Harmonieuse, discordante, exubérante, outrageante, arrogante ou peut-être lucide, intempestive, imprévisible et insaisissable. Ami, prends-garde à toi ! Dans ce jeu, ma queue peut se hérisser et mon dos, s’arc-bouter.
C’était un expert du confinement, imposé par une agoraphobie mêlée d’hypocondrie. Sa vie était un long fleuve tranquille dont le courant fut soudainement dévié ce soir-là, à vingt heures précises par un bruit inhabituel. Il se leva pour s’approcher de la fenêtre. Il entendit des applaudissements. Il fut surpris. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Après avoir réfléchi à ce qu’il devait faire en pareil cas, sa curiosité le poussa à mettre le nez dehors. Comme un astronaute, découvrant une planète au premier abord inhospitalière, il posa avec hésitation le pied sur cette terre inconnue qu’était son balcon. Il fut pris par de vifs éternuements. C’était la réaction de son organisme au contact de cette atmosphère saturée par le parfum des plantes printanières en pleine éclosion. Sa tête lui tournait. Il avait l’impression d’être ce tout petit respirant ses premières bouffées d’air quelques minutes après sa naissance. Il hésita puis s’aventura jusqu’à la rambarde et regarda trois étages plus bas. La vue du vide n’arrangea rien à son malaise. La douce voix d’une autochtone passant la tête au-dessus de la barrière qui délimitait son balcon, le sortit de sa torpeur en lui adressant un bonjour le plus simplement du monde.
Cette vision le scotcha sur place. Depuis quand n’avait-il pas vu une femme en chair et en os ? Désarçonné, il répondit d’un timide « bonjour », avant de retourner précipitamment dans sa tanière, apeuré, laissant sa voisine pantoise devant cette réaction inattendue. Cette image ne le quitta plus. Elle était tellement belle. Il n’avait qu’une seule envie : la revoir.
Les jours qui suivirent furent méconnaissables. Son quotidien fut bouleversé. Il passait désormais le plus clair de son temps à guetter discrètement le balcon voisin depuis sa fenêtre, attendant son apparition. Malheureusement, au bout de trois jours, elle n’était toujours pas réapparue. Il ne voulait pas se risquer à aller frapper à sa porte.
Franchir l’entrée de son appartement lui était insupportable. Il fallait qu’il trouve une solution. Alors que Diogène se prélassait sur le canapé, son regard se posa sur lui. Une idée de génie fusa dans son esprit. Il se rua vers son bureau pour y prendre un petit morceau de papier, y griffonna rapidement quelques mots avant de se diriger vers son chat qui ne comprit pas comment il s’était téléporté du canapé au balcon de la voisine. Quelques minutes plus tard, celle-ci fut surprise de le voir effrayé miaulant vivement et grattant énergiquement contre sa porte-fenêtre. Elle le fit entrer et découvrit que ce charmant matou était en réalité un messager. Elle retira le morceau de papier accroché à son collier, le lut, y répondit amusée et relâcha le félin sur le balcon voisin. Le chat revint, repartit, revint, avant que des sentiments ne coupent court à cette mascarade. Il fut rapidement remplacé par le téléphone, ce qu’il apprécia d’autant plus qu’il avait détesté qu’on le prenne pour un pigeon… voyageur.
Valère invita sa correspondante à partager un café, puis un verre, qui se transforma en dîner par balcon interposé. La saison était propice à l’apparition de papillons dans le ventre, chez l’un comme chez l’autre. Cela provoqua une multiplication de prétextes pour se revoir : une information de dernière minute concernant l’épidémie ou le déconfinement, la citation d’un livre, une chanson à la radio, ou simplement l’envie.
Valère prenait goût à l’imprévisibilité de ses journées, ne sachant quel en serait le contenu. Il avait pourtant la certitude qu’il partagerait un bon moment avec Évelyne. Contre toute attente, elle l’avait apprivoisé. Il aimait se perdre en sa compagnie. Ce printemps-là, était pour lui une sorte de deuxième naissance. Il découvrit que la solitude avait certes du bon, mais que la vie était encore plus savoureuse lorsqu’on la partageait avec la personne que l’on aime.
Nos deux tourtereaux s’égaraient avec plaisir dans cette bulle de bonheur hors du temps, s’inquiétant parfois de ce que serait leur vie d'après, sachant que l’amour tout comme les fleurs, ne dure qu’un printemps.
Mais en quelques instants,
Le temps s’est arrêté.
Les lignes de mon calendrier
Se sont toutes effacées
C’est le mois du printemps,
Dehors le soleil brille,
Le jardin se colore,
Les arbustes s’habillent
De leur parure d’or.
C’est le mois du printemps
Et jamais les oiseaux
N’avaient chanté si fort.
Moi mes ailes resteront
Sur le porte manteau
Quelques semaines encore.
C’est le mois du printemps
Et moi je tourne en rond
Comme dans une cage
En créant des images
De lointains horizons.
C’est le mois du printemps
Je me réveille maintenant
Dans une ville endormie
Et guette le doux moment
Où je quitterai le nid.
C’est la fin du printemps
Malgré la gymnastique,
Je me sens engourdie.
Cet été, c’est promis,
J’irai voir mes amis,
Je chanterai, je volerai,
Ce sera fantastique.
Maintenant que tu restes enfermé avec moi toute la journée dans notre appartement, à te prélasser sur le canapé, tes caresses sont plus attentionnées mais ton visage ne sourit plus. J’ai même vu une larme couler sur ta joue, un soir, devant la télévision, après 20 heures. Je te sens la nuit t’agiter, marmonner, et je ressens en toi ce sentiment nouveau. Est-ce de la peur ? Cela fait quatre ans que nous vivons ensemble. Quatre années d’un bonheur parfait ! Fais-moi confiance, parle-moi … Crois-tu que je sois trop « bête » pour te comprendre ? S’il te plaît, ne me sous-estime pas, ne sous-estime pas non plus mon amour, tu serais surpris …
Et puis un matin, tu t’es ressaisi, j’ai eu l’impression que tu prenais enfin ta vie en mains. Tu t’es mis à appeler tes amis et ta famille pour prendre de leurs nouvelles et leur donner des nôtres. Tu t’es même réconcilié avec tes parents, pour l’occasion et j’étais fière de toi ! Et puis, tu t’es mis à me demander mon avis pour tout. Au début, j’étais flattée, mais rapidement je me suis sentie embarrassée. Je ne suis pas habituée à décider, avant, c’est toi qui décidait de tout, et cela m’allait très bien. Tu t’es même remis à faire de la musculation, à expérimenter de nouvelles recettes de cuisine, à lire des romans d’aventure.
Et un jour, je ne sais pas ce qui t’a pris, tu t’es renfermé comme une huitre et tu as recommencé à passer ta journée vautré dans le canapé. Tu ne m’as plus regardée. Tu t’es mis à manger sans arrêt, à regarder des trucs nuls à la télé et à faire des jeux débiles en ligne sur ton téléphone. Hier soir, tu m’as même repoussée quand je suis venue me blottir contre toi. Mais putain ressaisis-toi ! Regarde-moi, je suis là pour toi, j’attends tellement de toi ! Regarde par la fenêtre le ciel bleu et le soleil qui brille ! Ecoute les oiseaux chanter, écoute mon cœur t’aimer …
Je te donne des conseils, mais qui suis-je pour me permettre de te juger, après tout, je ne suis qu’un chat d’appartement … »
Mais ce jour-là, plus rien n’était pareil : c’était pour moi jour de grand vent et promesse d’aventure, et c’est le cœur léger, le pas ferme et l’allure conquérante que je mis – enfin – le nez dehors, ayant été dument missionnée pour inspecter la médiathèque vide, comme on vient s’enquérir d’un grand navire échoué. Remontée comme un coucou suisse, affûtée comme le couteau multi-lames de même provenance, j’accueillais à bras ouverts l’inédit, l’insolite, le grandiose : revenir sur mon lieu de travail, ouvrir les portes closes, retrouver tous les livres, rêver à un possible avenir...
Missionnée pour m’introduire et inspecter, je m’introduisis et commençai ma ronde.
***
De prime abord, tout avait l’air en ordre.
Les best-sellers, ravis d’être pour un temps soustraits à l'avidité des lecteurs, dormaient paisiblement, leurs couvertures remontées jusqu'au menton. Au rayon des polars, Hannibal Lecter ronflait en grondant faiblement ; le commissaire Adamsberg s’étonna un instant de ma présence :
“ Que de brume ! me dit-il, les brumes impénétrables, sans doute, du vide et de l’ennui...
- Mauvais, çà, très mauvais pour les petites cellules grises, confirma Hercule Poirot.
- La ferme !” hurla un serial killer aviné, levant vaguement des paupières lourdes au-dessus de ses yeux glauques, vitreux et injectés de sang, pour me fixer d’un air mauvais.
Bref, tout allait bien, tout était normal.
Je descendis ensuite dans le secteur jeunesse où je fus accueillie par des soupirs, des reproches et des sanglots.
“ Sur quels berceaux allons-nous nous pencher, si les petits ne sont plus là ? demanda, toute triste, une fée ébouriffée.
- Et à qui allons-nous faire peur, désormais ?” s’exclamèrent en chœur le loup, les sorcières et le dragon.
Je les disposai en cercle autour de moi et entrepris – avec ménagement - de leur raconter l’histoire du roi Covid, dix-neuvième du nom, et de ses bien mauvaises manières...
Ils furent penauds, et peinés.
Les laissant à leur chagrin plein de perplexité, je poursuivis ma tournée d’inspection du côté de la littérature générale et des documentaires adultes.
Et là... Et là !!!
Ce que je vis me laissa tout d’abord sans voix : les livres gisaient sur le sol par dizaines en des postures étranges et grotesques, leurs couvertures en partie déchirées, entremêlées, réassemblées à la va-vite comme par un mauvais vent d’improbable folie. De ce magma informe s’échappaient au hasard des paragraphes entiers, des phrases sans queue ni tête ou de simples fragments, tandis que s'écoulaient en flaques noirâtres sur les étagères, les murs et le parquet des mots, des lettres et des signes – indistincts, dénués de sens et désolés.
“Qu’est-ce que c’est que ce fout..., que ce merd... ???
(Ma voix s’étranglait, je respirais à peine)
- ce désordre, voulez-vous dire ? me proposa aimablement Marie Kondo en brandissant – non sans fierté - “La magie du rangement” (cote 648 KON)
- Est-ce que quelqu’un, parmi vous, peut m’expliquer CE QUI S’EST PASSE ICI ?”
Et comme les bras m’en tombaient, je m’assis. Ce qui – mais je ne m’en aviserais (peut-être) que plus tard - n'était d'ailleurs pas d'une logique confondante.
“Tout ça, c’est la faute de la Bovary ! me répondirent tous en même temps quelques bouquins encolérés, cédant impulsivement au plaisir de la délation.
- Oui, c’est la Bovary, cette vieille emmer... ! beugla Audiard (cote 791.43 AUD) Ah ! Ça a été du brutal, du viril ! On peut dire qu’elle nous a bien éparpillés... et façon puzzle, encore !
- La Bovary, vous dites ? (J’étais interloquée.) Vous voulez dire “Madame Bovary” (Emma pour les intimes) ? Non mais là... Vous vous moquez du monde !
- Voyons un peu, si vous le permettez – me dit aimablement Marcel Proust en me baisant la main – je vais vous expliquer. Vous vous appelez ?... Oh ! Laissons cela, c’est sans importance... Car voyez-vous, comme me le disait tante Léonie lorsque, enfant, à Combray, je m’en allais la visiter par ces chaudes après-midi d’été où, soudainement prise de faiblesse, elle portait à son front pâle un fin mouchoir de baptiste tandis que, timide et emprunté, craignant que l’inexpérience de ma jeunesse ne me conduisît à quelque regrettable impair, je m'avançais vers elle et, doucement, lui tendais..."
Je glapis. Il se tut. Rougit. Baissa la tête. Et se souvint juste à temps de la signification potentiellement dangereuse de l'expression "tête à claques"…
“Ne nous fâchons pas ! beugla à nouveau Audiard (cote...) - m’évitant ainsi un irréparable outrage.
- Oui, soyons rationnels, clairs et précis, énonça Sherlock Holmes, furtivement échappé du rayon des polars. Reprenons les faits, voulez-vous... Ladite suspecte, connue sous le nom d’Emma Bovary, née le 15 avril 1857, à Paris (France), du sieur Gustave Flaubert et de mère inconnue – ce qui peut paraître étrange mais est en réalité, vous en conviendrez, d’un bien-fondé tout à fait élémentaire - s'éveilla un matin de fort méchante humeur et nous dit (vous tous qui étiez là en pouvez témoigner) :
“Nom d’une pipe, j’en ai ma claque ! Ce confinement, ce silence, cet ennui... ma parole, “Cent ans de solitude”, à côté, c'est de la nioniotte ! Soyez assez aimables, Messieurs, pour confirmer que je ne fais pas mes cent-soixante-trois printemps... C'est que, voyez-vous, "longtemps je me suis couchée de bonne heure", j'ai pratiqué sans en démordre “l'hygiène de l'assassin" tout comme “le yoga pour les seniors” et je me suis même penchée, pour soigner ma beauté intérieure, sur "la Métaphysique des Mœurs"... Moi qui fus réputée de mœurs légères, c'est un comble ! Et bien rien n'y fait désormais : avec ce confinement, cet ennui et ce désœuvrement, je me sens vieille. Et laide, ce qui est pire. Messieurs, l'affaire est entendue : ne comptez pas sur moi pour me barbouiller à nouveau le museau de cyanure - j'ai déjà donné, et ça fait mal. Restez, si bon vous semble, sur vos tristes étagères dans cette maison close - si j'ose dire. Je m'en vais, pour ma part, courir de par le monde et cultiver au grand air "l'Art de la Joie". Qui m'aime me suive ! Moi, je vous salue bien."
Et sur ces mots, elle nous quitta...
- Elle vous quitta ! Et vous l’avez suivie ?
- C’est une collègue, tout de même, et de surcroît une vieille dame. Nous nous y efforçâmes...
- Raison pour laquelle, je suppose, vous voici un peu... éparpillés ?
- … façon puzzle, oui ! Il faut vous dire que la donzelle, en dépit de ses 163 piges, tricote encore aimablement de la gambette ! compléta Audiard
- ce qui veut dire, au juste ?
- qu’elle nous a tous entraînés - et il faut bien reconnaître, pour être tout à fait honnête, que nous n'étions pas totalement mécontents de prendre un peu l'air – elle nous a entraînés, disais-je, dans un périple assez... déroutant, reprit Holmes. - Voyez-vous ça ! Mais encore, si je puis me permettre ?
- Et bien... Comment dire ? Escortée de “Croc blanc” et du “Loup des Steppes”, elle partit sur “les sept plumes de l’aigle”, s’avança “sur les falaises de marbre” jusqu’au “Rivage des Syrtes” et au “Désert des Tartares”. Là, elle fit une escale à “l’Hôtel New Hampshire" - où elle récita d'ailleurs "une prière pour Owen". Ce qu’ayant fait, et spirituellement requinquée, elle prit rendez-vous avec “le Maître des âmes" qu'elle écouta, "calme et attentive comme une grenouille", avant de s'adresser au "Maître des Illusions" qui l'initia sans coup férir à "L'Education sentimentale" avant de l'introduire à "l'école des sorciers" où elle découvrit "l'herbe bleue et la petite fumée”. Après quoi, ayant sur ce chemin douteux croisé “Faust” - très mauvaise influence, je vous déconseille tout à fait sa fréquentation - elle se mit en tête des rêves de gloire et de puissance et décida... j'ose à peine le dire...
- décida quoi ? répliquai-je, agacée
- décida... rien de moins que de conquérir “le Trône de Fer" ! (Voilà, c'est dit et qu'on n'en parle plus !) Ce qui, selon elle, supposait auparavant un grand “Voyage au centre de la terre”... Où elle disparut.
- Alors là... Pincez-moi, je rêve !!! Au centre de la terre !... Où elle disparut !
- Exactement. Et depuis...
- Depuis... Nous l’attendons, confirma Godot. Et pour une fois que ce n’est pas moi qu’on attend, continua-t-il avec un sourire malicieux et parfaitement débile...
- Mais nous ne faisons pas que l’attendre, reprit Holmes, à son tour un peu agacé. Loin s’en faut. Nous la cherchons. Partout. Ce qui est bien normal... Solidarité littéraire, comprenez-vous ? Depuis le funeste instant de sa disparition, nous nous dispersons... - façon puzzle, souligna Audiard
- … pour mieux la rechercher. Mais pour l’instant, hélas !
- c’est du temps perdu, conclut tristement Marcel Proust.
***
Je regardai à mes pieds ce tas inepte de bouquins bavards, à moitié désossés, tandis que naissait en moi, pour y fleurir de manière exponentielle et erratique, un sentiment d’étrangeté vénéneuse, absurde et déroutante. “Ils sont devenus fous, me disais-je en moi-même, juste fous. Rien de bien grave au fond. Rien de vraiment dangereux. Juste des livres. Comme d'habitude, comme avant. Rien de grave, vraiment." Je jetai un dernier regard, hostile et suspicieux, à "La plaisanterie" de Kundera, au "Journal d'un Fou” de Gogol... et reculai pas à pas, lentement, vers la sortie.
Rentrer à la maison. Fermer la porte. Surtout, bien fermer la porte. Rallumer l’ordinateur. Envoyer quelques mails à des fantômes masqués. Recompter mes orteils (Tiens ! je crois qu'il en manque un. Bizarre...). Ne plus réfléchir, ne pas penser à tout ce qui se passe, dehors, avec ce temps qui ne passe plus, ces portes closes. Attendre. Attendre patiemment, ne pas désespérer, ne pas, surtout, devenir fou, car – et c’est certain -
“un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
un jour de palme un jour de feuillages au front
un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
un jour comme un oiseau sur la plus haute branche.”
(Louis Aragon)
La jeune femme avait commandé un taxi « clandestin » car en ces temps de confinement, les sorties étaient restreintes et contrôlées. De toute façon pour partir, elle était prête à payer cher, même avec la peur au ventre. Par miracle, le trajet s'était parfaitement passé. Elle était arrivée à bon port, à l'heure et sans encombre, ce qu'elle interpréta comme un bon présage.
Maintenant c'était la vraie angoisse, celle de partir et de ne plus revenir. L'heure avançait et l'effervescence grandissait...
Sonia était une rêveuse, elle l’avait toujours été d’ailleurs, et ce fut l'annonce de son vol qui la tira de ses pensées profondes. C'était l'heure H, quelle folie pensa-t-elle !
Sonia fonça vers le comptoir d'enregistrement en prenant ses petits sacs de voyage. L'enregistrement se passa également sans problème, tout s'enchaînait, tout était fluide comme dans un rêve. C'était parfait.
Aux portes de l'avion, l'angoisse partit pour laisser place à une euphorie timide. Elle avait le sentiment que les autres passagers étaient dans le même état : qu'ils explosaient d'impatience silencieusement. C'était tout à fait normal, vu ce qu'ils s'apprêtaient à faire…
Ils rentrèrent un par un dans l'avion après une dernière vérification de leurs documents par une hôtesse qui souriait tristement. On y était presque...plus que trois pas, deux, un pas, ça y est….
Dès le premier pas à l'intérieur de l'appareil, le voyage avait commencé. C'était déjà un autre univers. Tout le monde était rentré, tous debout et muets. Lorsqu'ils furent au complet ; soit une vingtaine de passagers, plus les hôtesses, les chirurgiens et le reste du personnel) ; le commandant de bord fit son annonce tant attendue : « Mesdames et messieurs, aucun mot ni geste ne saurait remercier le don que vous avez accepté de faire. Mais je vous le dis quand même : merci à tous. Voyez ici les chirurgiens et les cabines de voyage, tout est fin prêt pour que vous donniez votre cœur. Vous devrez simplement prendre vos sacs avec vous en vous allongeant dans le lit de la cabine, et écouter de la musique. Cela est indispensable au bon déroulement des opérations. »
C'était donc ce qu'ils avaient tous accepté de faire : offrir leur cœur à une personne malade en échange d'un retour en enfance. Comment en étaient-ils, en était-elle arrivée là? Tant de raisons et aucune à la fois...Mais voilà, on était en 2022, et un sale virus sévissait toujours. La planète était boursouflée de cicatrices, vestiges des blessures infligées par les dirigeants et d'autres ingrats. Sonia était seule, n'avait pas d'enfants ni de mari. Elle se sentait inutile et chaque jour, elle vivait en étant déjà morte à l'intérieur. Alors quand elle avait reçu une publicité pour participer à une campagne de masse de don du cœur, et que de surcroît, cela lui permettrait de retourner vivre en enfance, elle avait immédiatement accepté et appelé le personnel qui gérait l'opération. Tout le monde était gagnant dans cette histoire : des gens malades allaient être sauvés et elle, allait se sentir utile en participant à cela. Mais par dessus tout, Sonia pourrait se sentir revivre simplement en partant...
Elle scrutait ce qu'il y avait autour : tout avait l'air sophistiqué et sûr, les machines-cabines clignotaient, et les chirurgiens étaient habillés pour opérer. Les hôtesses installaient les « passagers » dans leur cabine, les allongeaient avec leur sac et leur enfilait même leurs écouteurs ou casques. Pas de message d'alerte, pas de consignes de vol… Personne ne comptait reculer, c'était parti.
Elle alluma son MP4, ce petit machin qu'elle trimballait avec elle depuis son adolescence valait plus que de l'or à ses yeux. Sa musique ambulante, son paradis auditif. Sonia ferma les yeux en même temps que le chirurgien lui fit une piqûre d'anesthésie qui devait agir en une dizaine de minutes. La musique glissa dans ses oreilles. C'était d'ailleurs un meilleur anesthésiant.
Première chanson ''Liquor Store'' de Bruno Mars. Parfait pour commencer le voyage…. Un retour en enfance, quel rêve ! Elle allait retrouver sa famille, revoir le soleil et la nature encore intacte. Elle allait pouvoir regarder par la fenêtre de sa chambre et dire bonjour à la montagne en rêvant d'un avenir heureux. « Soñar » en espagnol voulait dire rêver : passer la moitié de sa vie avec la tête dans les nuages était déjà écrit dans son prénom. Retourner en enfance, sentir les bras de sa grand-mère autour d'elle, boire le fond de tassé du café sucré de sa maman, courir derrière son père dès qu'il allait à l'épicerie, couvrir son petit frère de bisous… Car sept ans, c'était parfait pour tout recommencer. Ce voyage de la mort à la vie était la deuxième chance qu'elle ne pouvait pas rater.
Deuxième chanson ''Don't Speak'' de No doubt et autre ambiance. La piqûre faisait doucement effet mais elle était encore consciente. ''You and me, we used to be together''… Cette chanson était morose, morose comme le pays qu'elle quittait. Mais elle allait rentrer sur son île et malgré les notes sombres de la musique qui défilait, Sonia n'avait jamais été aussi heureuse de revoir son soleil, ses racines, sa famille. Elle voyait ses tantes rigoler dans le jardin familial, ses grands parents préparer à manger dans la cuisine. Sonia pouvait sentir la main de sa mère qui coiffait ses longs cheveux. Elle pouvait simplement redéfinir le bonheur à travers ces images. Elle gardait dans sa tête toute cette lumière qui détruisait le gris des paroles de la chanson qui se terminait doucement…
Troisième chanson ''Work'' de Rihanna et elle se sentait partir…Quelque chose semblait la retenir pourtant… Mais qu'est-ce que c'est ? ''Work work work work work…'' La piqûre… Non, ne pas bouger, sinon l'opération sera nulle. ''La la la la la''. Je veux partir, pourquoi ça ne marche pas. Plus elle devait s'endormir, plus elle se sentait éveillée, c'était terrible… Le soleil s'éloignait. Mais des doux picotements sur sa joue. Pourquoi je ne m'endors pas… ah c'est si doux. Plusieurs sensations se mélangeaient, c'était un kaléidoscope dans son coeur…
Et mais ! Une minute, elle sentait son cœur, l'opération n'avait pas marché ? Pas d'enfance ? Pas de soleil ? Non, mais des picotements et des caresses sur sa joue… Quatrième chanson. Pas de quatrième chanson car la musique avait disparu. Elle prit le risque et ouvrit lentement ses yeux, l'un après l'autre. Il y avait cette main, ces yeux doux et brillants perdus dans les siens. Ce n'était pas sa mère, ni son père ni son frère, ni personne d'autre. C'était son amoureux.
Il n'y avait jamais eu de retour en enfance, de don du cœur ni de machines dans un avion...C'était un rêve, une bulle dans une bulle. C'était sa façon à elle de tenir, son bouclier face à la guerre virale qui se tenait dehors. Tout ça c'était un rêve mais le virus lui, était bien réel. Alors Sonia rêvait, chaque nuit, c'était son antidote. Il n'y aurait plus le soleil de son enfance, mais il y avait ces yeux, les étoiles de son futur. Sonia avait rêvé, pendant une nuit elle était partie loin, tellement loin. Mais dans ces temps confus où la majorité des hommes semblent perdue, qui ne rêverait pas de retrouver une douce enfance? Une conscience innocente, des désirs simples ou des yeux qui brillent ? Qui ne voudrait pas redonner au monde une nature en bonne santé, des gens pétillants et insouciants, seulement soucieux de rire, et de faire rire, tels des enfants ? Qui ne voudrait pas voir le monde à travers les yeux de l'enfance, respecter le monde comme un enfant ?
Qui ne le voudrait pas ? Sonia elle en tout cas, le voulait.
Dépitée je reviens dans mon foyer, ce lieu où je serai protégée. Mais à l’avenir, si je ne puis sortir qu’avec un ausweis et sous surveillance, cet endroit pourra-t-il continuer à être mon asile ou bien une prison qui ne s’ouvre que sur ordre. Hou, hou la folie me guette. Ce domicile qui va me retenir pendant plusieurs mois pourra-t-il continuer à demeurer l’endroit du bonheur où je vis avec mon époux chéri, là où mes enfants ont grandi, là où mes petits enfants s’épanouissent, ou bien sera-t-il le symbole de ma prison.
Bon je dois réfléchir et positiver, mon chez-moi, mon havre de paix est un endroit interdit à toute tentative de contamination de la part du coronavirus qui devra rester à l’extérieur. Ici c’est une zone où l’air est aseptisé par l’amour. Et je veillerai à ce qu’il reste exempt de virus que celui-ci soit de type corona ou de type mau-vaise humeur, dispute, lassitude de partenaire, ou fringale.
Mais au fait, je n’ai rien préparé pour dîner, en effet j’avais prévu de faire des courses après mon rendez-vous. Le confinement commence fort : œufs durs et nouilles donneront le ton de notre partition. La seule supérette aux alentours est fermée pour cause de maladie du gérant. Je ne conduis plus depuis deux mois, il faut donc s’y rendre à pieds pour s’approvisionner. C’est la galère. Au moins je ne serai pas en contact dans le bus avec mes voisins, et j’en profiterai pour faire de l’exercice. Mais ces rencontres fortuites vont me manquer, j’aime bien parler suivant les rencontres avec mes voyageurs de rencontre. Alors se brise la vie sociale qui consiste entre connexion d’individus qui se sourient et partagent la parole, les mots qui créent un lien d’humanité.
Alors, je pars je suis une aventurière, équipée pour rapporter à la maison, la nourriture qui nous permettra de tenir à deux, pendant une semaine. J’ai un caddie, un foulard puisque les masques sont réservés, ou tout au moins cachés, et j’ai ajouté une paire de gant d’hiver. A nous la terre promise. Nous revenons rassurés, retrouver notre bulle salvatrice. Les consignes pleuvent de partout : ausweis pour sortir avec la date et l’heure, et le motif de la sortie. Le confine-ment est une bonne chose s’il évite la propagation de virus. Mais comment re-connaît-on ce virus ? Quels sont les symptômes ? Ceux-ci sont-ils tous connus ? La recontamination est-elle possible ? Y a-t-il des tests pour savoir qui est con-taminé ? et l’entourage d’une personne contaminée est-elle aussi testée ? Toutes ces questions tournent en boucle dans ma tête et ne favorisent pas la plénitude et la sérénité. L’aventurière un peu lasse est arrivée à bon port, et rentre dans le rang. Faute de combattants, faut-il arrêter le combat ? La fin est-elle proche ? Bien sûr je veux dire le confinement et pas notre santé ou notre vie. Aujourd’hui 13 avril nouvelles consignes après discours blablas avec force compliments pour chacun et menaces voilées à la fin, nous avons prolongation du confinement pour trois semaines. Cela tombe à pic mon petit fils aura 6 ans ce jour-là, je m’apprête à faire la fête. A condition que le déconfinement soit organisé en toute sécurité et aussi que les personnes âgées aient les mêmes droits que les autres. Je ne peux pas rester muette et je crierai ce jour- là : VIVE LA LIBERTE.
Insolite : Depuis près de deux mois, c'est bien l'ensemble du tissu économique et social de nos voisins outre-quiévrains qui est sinistré par les mesures liées au confinement. Prenant acte de la réduction de son activité, le terroriste belge Childéric Van Der Linden s'est ainsi résolu à se prendre lui-même en otage. Détenu à son domicile de Chimay, alors qu'il menaçait de s'exécuter s'il n'était pas libéré sur le champ, les forces de l'ordre sont intervenues. Bilan: quatre morts, un disparu: le terroriste.
Ça tient pas d'bout ! : Scandale au Téléthon à Vermelles : Le myopathe s'était bien échappé avec la caisse. A l'issue de quatre mois d'une course-poursuite effrénée, ses camarades l'immobilisent à 20 mètres de son point de départ. « Il n'avait même pas d'attestation de sortie ! » témoigne Jean-Luc N., policier municipal de la commune.
Horoscope : « Travail »: les agents territoriaux nés sous le signe du Capricorne premier décan, de la Vierge dernier décan et éventuellement du Bélier ascendant Gémeaux, peuvent envisager une reprise de leurs activités sous condition sur site.
Les mesures de chômage partiel exigent une révision du format de la rubrique. Aussi ne pouvons-nous pas assurer les encarts « Argent » ni « Amour ». De même que faute de correspondant tous les signes astraux ne sont pas couverts. La rédaction tient donc à adresser ses excuses aux Taureaux, aux Cancers, aux Lions, aux Vierges, aux Balances, aux Scorpions, aux Sagittaires, aux Verseaux ainsi qu'aux Poissons.
Lens, le 5 mai 2020 Vadim Casanova
L'œil torve de Gérard Gousdail faisait des va-et-vient entre le sourire béat de Casanova qui s'affichait sur son écran et la contribution que le plumitif venait de lui adresser par courriel. Rédacteur en chef du Petit Echolaliévin, organe de presse artésien diffusé jusqu'en Wallonie belge, Gousdail hésitait sur le comportement à adopter. Devait-il éconduire ou non le pigiste chaudement recommandé par l'un de ses pairs? Un concurrent qui ne souhaitait visiblement pas que ses rotatives tournassent à plein quand celles-ci se mouvaient déjà au ralenti... Léon de Bruxelles ne servait plus de moules marinières et le Troc de Lille n'échangeait aucun rebut. Aucun annonceur ne couvrait la fameuse page 24, la dernière. L'idée d'une zone vierge dans un numéro du Petit Echolaliévin l'insupportait par ailleurs. Les fait-diversiers devenaient une manne rare. Dans ce contexte, l'expérience Casanova pouvait se justifier...
- « Alors ? Qu'en dîtes-vous Gousdail ? C'est propre à divertir eul populo franco-belge ! L'en a bien besoin en ces temps incertains ! … Bon, j'ai pas été trop regardant sur les sources mais c'est pas comme si l'canard l'était davantage par temps salubres hein? Dîtes pas l'contraire, j'ai encore vu eul l'blaze de Marboeuf dans l'ours ! Il émarge trois jours par semaine dans vos bureaux, les quatre autres à la Maison Poulaga ! Covid ou pas elle y ravale pas sa salive, la poucave ! Toute honte bue, morceau recraché en moins concis que mézigue ! Pour sûr, l'a rien à y affurer l'enflure, c'est rien d'autre qu'un vicieux! J'te bifferais ça fissa du registre! ...»
Vadim Casanova marqua soudain un temps d'arrêt. Un ralentissement de la bande passante expliquait sûrement le regard figé et tendu qu'affichait son interlocuteur depuis plus de dix minutes.
Le faconde reprit à marche non forcée :
« Vous savez Gousdail, chuis pas l'Albert Londres lillo, tant s'en faut ! Et pour le grand reportage j'm'arrange un peu avec les décors ! Et cela n'est pas appelé à s'arranger ces prochains mois ! Pas plus loin qu'100 bornes de rayon ! Avec ça, j'vous pondrai un torchon sur les phoques de la Baie d'Authie à Fort-Mahon au mieux et c'est marre !
Une consœur de Louvain m'avouait qu'elle trimait pour griffonner ses enquêtes sociales dans les bas-fonds désindustrialisés: « Faut leur inventer un métier à ces pauvres hères qu'on interviewe ! Consigne du singe à la rédac' ! Trop démoralisant sinon ! Et quand on en tient un, c'est alors tout le paysage culturel et émotionnel idoines à peindre par tous les tons ! T'imagines la gageure, Vadim une fois ?! Et pas qu'une en fait ! » se lamentait-elle encore la semaine passée.
Bien heureux de ne pas être confronté à cela avec vous Gousdail… ! Z'êtes pas trop pointilleux sur ce point… m'est avis en tout cas... Cela dit, le cas échéant, je vous pose mes conditions comme suit :
Moi chuis pigiste ! Liberté dans l'libelle ! N'ayant jamais choisi de faire carrière, j'ai trouvé la parade naturelle pour obvier à cela : tous au chômdu les gars portraiturés ! Et pas partiel ! Z'iront tous pointer en agence ou à distance les zigs des écrits ! Au RSA ! Nivellement par le bas ! Intérimaires au mieux ! Pas plus de 20 heures par semaine ! 80 heures par mois et hop à la turne ! Sinon la râtelière ! Radiés ! Rayés ! Pas retenus dans le script ! Trop compliqués sinon, trop chichiteux... Mon cauchemar serait qu'ils trouvent un CDI ! Ou pire qu'ils réussissent un concours de catégorie A de la fonction publique !! Z'imaginez l'bordel, faudrait que j'me rencarde fissa sur les conditions d'attribution de logement dans le parc privé !! Privé !!! Parce qu'ils voudront tous se faire la tchave de leurs HLM pourries de Roubaix, les personnages, vous pensez bien ! Gentrification oblige ! Le limes social qui s'érode ! Odoacre et Romulus Augustule signant un acte notarié aux conditions des lois Carrez et Duflot ! Saccard, sa curée et ses promesses de ventes ! Macache oualou ! J'y connais rien à tout ça moi ! Rappelez le 115 et r'tournez au Sonacotra et ch'rai en terrain connu... j'pourrais éventuellement vous r'faire le portrait ! Tous à la ligne ! Laissez juste un espace de confidentialité entre vous !... Un peu d'intimité quand même !... Et surtout la sécurité, Covid oblige ! Voyez l'marquage au sol et attendez là qu'on vous hèle ! Mourir pour tant d'zigs ça non !
Des agences Pôle Emploi pour biotope ! Et s'il le faut, des polders pour pauvres ! Juste en face des plages du Touquet ! Vont s'poiler eul chabert Darmanin et la môme Lussignol ! Ça l'remplit déjà pas mal le tableau ! Z'en avez un beau de paysage ! Eul Déjeuner sur l'herbe sur eul terril après l'temps partiel à la Sernam ! Huile sur toile 3 x8 m ! Rajoutez-y une CAF, une Mission locale, un CCAS et une Banque alimentaire et vous avez un paragraphe ! Pornographe social ? Essentialiste comme du mauvais Jonquet ? M'en fous ! J'ai un filon, des potes à Potosi ou à Aktau, je creuse, je fore et j'vois l'prix que j'peux tirer du brut sans raffinement aucun ! J'en ai pour trente ans au moins si j'en crois les rapports très compassés de l'OCDE et des chambres d'industrie !
Et puis, entre nous soit dit, le taf ne courra pas trop les artères ces prochains mois... je n'me sens donc aucune légitimité pour en attribuer un quelconque à qui que ce soit dans mes papelards... chuis pas RH ni manageur... chuis déjà pas foutu de circonscrire syntaxiquement ma phrase, j'pourrais au mieux employer au black... Rien à déclarer... Imaginez le contrôle de l'inspection du travail de l'ENSJ lilloise ! Qui débarque à brûle-pourpoint pour me rappeler à l'ordre concernant le travail dissimulé de Trucmuche en ligne 18 ! La situation irrégulière de Machinchose ligne 56 ! Que Bidule ne peut décemment pas vivre dans un 20 mètre carré après remboursement de tous ces crédits d'impôts en début d'année civile ! « Recalculez tout ça Casanova ! Vêtissez-le mieux ! Rajoutez-lui une véranda à son logement ! Et faîtes lui faire scrupuleusement le tri des ordures ménagères au début de chaque paragraphe ! Qu'il se repaisse de quinoa ! Retirez-lui quelques mots superflus de son vocabulaire ! Pas d'argot des rigoles ! Et faîtes lui prendre le TER à 8H40 et non pas à 5H10 ! Y a plus d'usine Toyota à Villevoorde !» Et l'tout à l'avenant ! Du Nuit Saint-Georges dans l'gosier et pas du Vieux Pape ! De la Leffe et pas d'la Ch'tit, on relance l'économie comme l'ânnone l'ami Le Maire ! J'en passe et des meilleurs... Bref, y a encore du travail de ce côté-ci de la frontière de l'imaginaire... Z'êtes encore là Gousdail? J'vous entends plus tousser !?».
Pas un bruit, hormis le chant des oiseaux, encore timide, et le bruissement des arbres. Je descends sans hâte faire du café et griller quelques tartines. Non par faim, mais pour la perfection du moment, l’harmonie des senteurs.
Goût de miel sur mes lèvres. Je savoure. Je savoure chaque instant de ces jours de confinement, l’air pur, le silence, la solitude, la liberté.
Car figurez-vous qu’en temps dit « normal », ma vie de retraitée est très compliquée. Enfants, petits-enfants, conjoints et ex-conjoints, voisins, voisines, cousins, cousines… ceux qui travaillent encore et ceux qui ne travaillent plus, les surmenés et les oisifs, les membres des clubs, associations, cercles, réseaux… chacun s’arroge le droit de disposer de petits morceaux de ma vie. Je me figure le temps, mon temps, comme un grand sac que les uns et les autres rempliraient, avec désinvolture ou gentillesse, dans un pur esprit de charité ou par commodité.
Je me laisse faire, je plaide coupable, obligée que je me crois de réparer le monde. N’y voyez surtout aucun altruisme, ni même un soupçon de mégalomanie. Juste le fait d’un esprit peu déterminé qui suit le vent, qui, sans amour ni haine du prochain, tente de donner ce que l’on attend de lui.
Ces jours vides, pleins de possibles, où le monde se tient à l’écart, où nos relations avec autrui sont distantes, me rendent à moi-même, libre, légère, sans but, sans rime ni raison.
Je ferme les yeux, écoute l’écoulement du temps.
En mai, le jour d’après. Je sais que rien ne changera jamais.
Je me souviens de l’annonce, nous étions Marco et moi dans le camion d’Antonio et rentrions de notre journée sur le chantier du front de mer.
Je ne pensais qu’à une chose, enlever mon bleu de travail et me coucher.
Nous étions collés tous les trois coude à coude sur la banquette, Antonio avait retiré son CD préféré, celui de Shakira et il tentait de capter la radio.
Je ne peux m’empêcher de sourire en me rappelant Antonio qui aux premières notes de musique, se transformait en chanteur de Karaoké. Même l’absence de micro ne gâchait en rien son plaisir quand il fredonnait «waka waka».
Mais ce jour-là, pas de joyeuse cacophonie, personne ne se parlait.
Mes collègues écoutaient attentifs, dans un silence pesant, les mots sans musique.
Moi je tentais d’en déchiffrer le sens. Mon français est encore fragile.
Je me souviens du mot qui résonna le plus « guerre ». En l’entendant mon cœur s’était mis à battre plus vite, réveillant des souvenirs que j’avais tenté d’enfouir, de fuir !
J’avais l’impression que ma tête ne réfléchissait plus. Je n’avais plus qu’une envie, qu’Antonio arrive devant mon bâtiment pour me mettre à l’abri.
Enfin arrivé je suis descendu comme un automate vers la cage d’escalier, QG des jeunes qui avaient déjà déserté. J’ai monté en vitesse les 4 étages et ouvert soulagé la porte de l’appartement.
Mes deux colocataires étaient déjà rentrés et avaient allumé la télé.
Je me souviens, nous sommes restés tous les trois comme ça pendant 4 jours, n’osant pas franchir le seuil de la porte, dans un état hypnotique face à l’écran.
Antonio m’avait envoyé un SMS le soir de l’annonce pour m’avertir que le chantier était suspendu et qu’il me donnerait des nouvelles dès qu’il en saurait plus.
Le bruit de la télévision rythmait alors les heures qui passaient identiques les unes aux autres. Le quartier, où régnait autrefois la vie, était devenu bien calme, pesant comme avant la tempête. Nous n’avions même plus la force de mettre nos matelas sur le côté et d’ouvrir le volet de la fenêtre de notre unique pièce.
Nous mangions assis sur nos matelas le reste des achats effectués la semaine d’avant.
Au 5ème jour, j’ai alors décidé de sortir de l’appartement. Je savais que celui-ci agissait comme une frontière invisible et qu’il fallait bien trouver de quoi se nourrir. Nous avions épuisé nos réserves. Mes colocataires m’avaient confié aussi leur dernier billet trouvé au fond de leur poche après avoir dû régler au locataire en titre le dernier loyer hier soir. Il était passé nous voir un peu en avance pour le mois d’avril car il avait eu peur que nous partions...mais pour aller où ?
Il avait aussi expliqué que vu l’état d’urgence il augmentait le loyer de 150 euros. Nous nous étions exécuté sans broncher, pas par peur mais par habitude.
Au moins nous avions pu préserver notre havre de paix.
Je me souviens que cette 1ère sortie en territoire ennemi m’a semblé surnaturel. Chacun marchait en évitant de croiser l’autre, un jeu de cache-cache sans cachette. Certains portaient déjà un masque qui occultait toute expression. J’essayais de deviner si le sourire que je donnais serait rendu en retour. Si je voyais un petit pli au coin de l’œil je m’imaginais alors la lèvre en croissant de lune et cela m’apaisait.
Je me souviens j’ai effectué la queue devant le petit supermarché du coin. Récitant dans ma tête les produits essentiels pour tenir les 10 prochains jours. J’espérais qu’Antonio me rappellerait pour reprendre rapidement le chantier. Je suis payé à la semaine et pas de compte en banque. Et pourtant je suis le plus chanceux comparé à mes deux colocataires qui n’ont que des petits emplois journaliers dans les chantiers environnants.
« Bip » mon réveil sonne 6 heures, c’est le 1er mai, j’éteins la sonnerie. Je plonge sous ma couette, ferme mes yeux, espérant rêver à ma liberté prochaine.
En ce samedi de printemps 2020, tout était calme dans cette maison lumineuse de l’ouest parisien, située dans un quartier résidentiel proche de la nature. Soudain, un mouvement, un bruit vinrent troubler cette matinée si paisible. La mère de ces grands ados et jeunes adultes – déjà ! – rentrait de sa petite balade quotidienne à vélo, sortie délicieuse en cette saison si étonnamment chaude. Elle retira ses chaussures à l’entrée et n’oublia pas de se laver soigneusement les mains, une habitude maintenant ! « Allez, allez, on y va ! » lança-t-elle dès la porte du salon franchie.
« On arrive ! » « Ok ! » lui répondit-on, presque en écho.
Alors, tels les musiciens d’un orchestre à l’affût du moindre geste du chef, tous convergèrent vers le salon : le joueur au cube descendit l’escalier, non sans avoir vérifié encore une fois sa nouvelle coiffure dans le miroir : « Je pourrai bientôt m’attacher les cheveux ! » pensa-t-il, caressant fièrement sa barbe naissante. Sans un mot, il disposa cinq flûtes sur la petite table du salon baigné de soleil, puis sortit la bouteille du frigo. Déjà, l’ainé, éclatant de rire après une dernière blague de l’animateur parlant dans le creux de ses oreilles, préparait les petites friandises « maison » à grignoter. Père et fille arrivèrent en même temps, l’un troquant l’arrosoir pour « le pied », accessoire indispensable, l’autre brandissant sa dernière réalisation dans ce tissu de récupération. « Pas mal, non ? » demanda-t-elle avec son beau sourire.
Bientôt, tous avaient pris place dans le canapé et les fauteuils. Tous ? Non ! Le père installait « le pied » et ajustait le téléphone qui allait servir d’appareil photo pour immortaliser le moment. « Mets-toi plus dans le fond… toi, plus à droite… non ! Tu n’es pas dans le champ ! ». Les uns et les autres, pressés d’en finir, réagissaient avec humour, pour finalement, dociles, prendre la pose.
Alors le moment arriva : chacun leva son verre, sourire aux lèvres et fixant l’objectif :
« Tchin ! A la 2ème semaine de confinement ! »
Le rituel était né.
A' Londres, une chapelle ardente dans la City
A' Berlin, on commence à manquer de lits
Et c'est là qu'on apprend ébahis
Qu'un tel a des livres et qu'en plus il les lit !
Il parle du confinement, comment il passe le temps. Passionnant.
Le monde va changer.
C'est bel et bien l'printemps
Mais les rues sont désertes
Seules passent les ambulances
Et c'est là qu'on entend
Une voix guillerette qui parle de ciboulette
D'asperges à la sauce blanche
Et des recettes d'antan. Charmant.
Le monde va changer.
Pâques approche
Sans office à l'église, sans lapin ni cloche
En plus du home office, faut occuper les mioches
Alors écoutez bien, si vous êtes en famille :
Faites-vous cuire un oeuf et au fond d'la coquille
Faites pousser des lentilles, ça fera rire les enfants. Succulent.
Le monde est en train de changer.
Le bac eut été dans six semaines
Et pour les forts en thème, c'est gagné
Pour Blanquer, c'est pépère, plus d'copies égarées
Une pensée pour tous ceux qui étaient à la traine
Qui sont en quarantaine et maintenant tombent des nues
Haro sur parcours sup et l'contrôle continu !
C'est la faute au virus, pas celle de nos enfants ! Révoltant.
Rien ne sera comme avant.
Qu'est-ce qu'elle a ma gueule ?
Y a quelque chose qui va pas ?
C’est mes yeux ??!! C’est ma voix ??!!
Allez, n'hésitez pas !
Oui, c'est ça, qu'on sorte la camisole !
Et qu'on m'isole…
J'ai dû prendre le métro.
Le métro de trop. Bingo...
Les courses chez Super U. J'aurais pas dû...
J'suis allé au ciné. Quelle idée !
Ou c’est d’avoir marché comme ça le long de la Seine ?...
Alors ! Qu’à cela ne tienne !
Va pour la quarantaine !
Qu'on prenne mon ADN et qu'on'm’mette sous perfu !
Pauvre Johnny
Et attention si j’éternue
Si j’tousse et si en plus, j’éructe
Parce qu’un virus, il mute
J’étais en Lombardie
J'ai les membres engourdis
A' la Scala trois coups résonnent
La diva gronde, elle s’époumone
Et c'est là, béat, candide
Que j’ai sniffé de la Corona
Que j'ai kiffé… Covid
Mal m'en a pris
Pauvre Johnny
Dites à Edouard Philippe
Qu'on part tous au casse-pipe !
Alors pas besoin d'loi
Ni du 49.3
Mais qu’on affrète un jet
Pour le Hubei
Et à défaut de jet, trouvez-moi un ferry
J’ai mal dormi
Tu parles d’une pandémie…
Pauvre Johnny
D’aussi longtemps que je me souvienne, c’est un mot que je n’ai jamais utilisé
C’est si vite arrivé !
Un jeudi puis un lundi des mesures ont été annoncées et nous rentrons dans une autre réalité
Une réalité où le temps n’a finalement plus d’importance et où il ne sert à rien de le compter
Une réalité où il ne s’agit de ne pas avoir le temps mais bien de le prendre et d’en profiter
Une réalité où l’air n’est plus pollué
Une réalité où on peut prendre le temps d’écouter les oiseaux chanter
Une réalité où l’on n’est pas enfermé mais retrouvé
La douceur d’un foyer où l’on peut s’arrêter
Une réalité où l’on retrouve le calme d’un matin enneigé…
En plein mois d’avril et de mai !
Une réalité où la Nature nous invite à ses plus belles représentations et où elle n’est plus dominée.
A rebours, il nous faut nous questionner,
Et prendre enfin le temps, non pas pendant ces 6 semaines qui nous été imposées,
Mais pendant tout celui qui nous reste, de contempler,
Tout ce que nous avons depuis trop longtemps mis de côté…
Je ne pense pas avoir prononcé autant de fois les mêmes maux dans une période aussi courte. A la télévision, sur le net et sur ces fameux réseaux sociaux. « Autant de fois » signifie des milliards de prises de tête vocales.
J'ai du mal à m'affranchir de cette couronne microscopique au point tel que lors de mes rêveries réparatrices, cette fouille-merde me fait monter la température. J’ai beau tenter de sauver le peu d'oxygène cervicale nécessaire à ma survie, je n'hume plus rien. Plus préoccupant, mon goût pour la poésie ne postillonne plus de ma bouche. Egaré la sensibilité, disparu le goût des choses.
Je badine évidemment.
J'ai la chance de ne pas connaitre les souffrances de la maladie. Je peux jouir des moments de paresse, m'évader dans un livre, écouter de la musique répétitive avec délectation au casque afin de ne pas déranger ma solitude choyée qui se prélasse dans le sofa.
Quant à jouer au golf, ça me rassure je ne pratique pas, les trous n'étant pas fournis avec le logement Hlm que j'habite.
Je suis entre quatre murs (j'ai même le luxe d'en avoir davantage), je guitarise, j'écrivaille et temporise gaiement la mesure de mon quotidien en 5/4, en hommage à « Take five ».
Faut pas charrier, on peut encore respirer l'air du dehors et faire ses courses, courir ou marcher une heure durant dans des zones définies par un papelard officiel du ministère qui vient de l'intérieur. On met la main à la pâte et confectionne des pâtisseries déconseillées pour les kilos. Et de toute évidence, on kilote. Même les diabétiques prennent leur part du gâteau, prenant un malin plaisir à transgresser l'interdit : le sucre. Il nous reste le bonheur d'inventer sa propre façon de vivre l'essentiel au regard d'une société aliénante. L'argent, toujours et encore l'argent !
Mais chaque matin je suis démuni, désemparé. Des femmes et des enfants crient, morflent, la peur au ventre. Les fenêtre sont mutiques. Les personnes seules, vieillards ou sans ressources qui attendent une bribe de paroles d'une personne absente.
Chapeau bas aux travailleurs soignants qu'on ne soigne plus d'ailleurs depuis des lustres et qui la peur au ventre, sont confrontés à une situation au bord de l’asphyxie. Chapeaux bas à tous ceux qui continuent leur travail malgré la dureté de leur tâche : aux caissières, aux fonctionnaires tant dénigrés par le reste de la population (là, on voit bien leur boulot au grand jour!) aux éboueurs de l'aube. Tiens, et même képis bas aux policiers pendant que j'y suis. Quant aux militaires, pour une fois, ils ne montent pas au front. Ils installent des tentes destinées à accueillir des malades. Pour les gradés, je reste lucide. La guerre demeure en points de suspension intimement liée à l'économie.
En temps « normal », le présent n'a qu'un avenir, le passé. Avec le confinement, le présent existe enfin.
Ne perdons plus de temps à ne pas le prendre.
Je passe par l'entrée des artistes, une porte dérobée derrière le cabinet pour ne pas croiser les patients “sains”. Au cas où. Puis je suis accueilli par un cosmonaute qui s'avère être mon généraliste. J’ai impression d’être un pestiféré.
La sentence tombe. Suspicion de cette saloperie. Un léger sifflement au niveau de la cage thoracique mais rien d'alarmant. Je repars avec l'ordre de rester isolé durant deux semaines avec comme seul traitement une boite de doliprane. Dernière recommandation. Si la fièvre monte trop et que je commence à avoir des difficultés à respirer, rappeler le cabinet qui se chargera de m’envoyer le Samu. Je rentre chez moi. Par chance, je n’ai pas vu les enfants depuis un certain temps. Aucune chance que j’ai pu les contaminer. Idem pour ma famille, et surtout ma mère. J’avais bien compris que ce truc était plutôt friand des corps âgés.
Le soir, à la télévision, le décompte macabre. Je réalise que j’ai de la chance. Je suis chez moi. Certes pas très en forme, mais du moins dans mon lit. Mais très rapidement mon état se dégrade. Je suis condamné à la position horizontale. Plus aucune énergie. Ma toux m’empêche de dormir. Donc, je profite des plages ou elle se calme pour passer un court instant entre les bras de Morphée. Quelque soit l’heure.
Cette période déjà assez surréaliste mute en cauchemar. Dès que la nuit arrive, le cercle infernal. La fièvre augmente brusquement. Ma poitrine se soulève maintes fois pour expulser les multiples sécrétions qui risquent d’empoisonner mes poumons. Je ne dors pas, pétrifié à l’idée de ne plus pouvoir respirer. Je suis dans un état second. Mon esprit essaie d’échapper à cette horreur en imaginant être libre dehors. Je fais le vide à l'intérieur de moi. Ne plus penser. Et un soir, je m’imagine tel un oiseau survolant ma résidence. Je peux presque sentir l’air frais. Le bruit se rapproche ou s'éloigne selon ma proximité. Puis je prends mon envol, survolant ma résidence. Au loin, je vois la forêt, à la lisière d’une ville ou seules quelques lumières aux fenêtres montrent qu’elle n’a pas été vidé de ses habitants.
Des flashes bleus viennent troubler cette tranquillité visuelle. Là-bas, prêt des bois. Je me rapproche. Je reconnais une voiture de police. Des flammes jaunes dans une clairière. Je me rapproche. Les flics font face à des jeunes. Intervention pas dans le calme. Je quitte les lieux. Je préfère côtoyer les étoiles, regardant la ville confinée. Une quinte de toux. Violente. Elle m’arrache de ma contemplation.
La nuit fut encore pénible. Hormis ce rêve bizarre qui m’avait un temps rendu ma liberté et mon bien être. Mais, maintenant, je devais affronter une nouvelle journée rythmée par les incendies, les cyclones et les tremblements de terre que subissaient en permanence mon pauvre corps.
Durant une période d’accalmie, j’ouvre mon portable et navigue de page en page, sans but permis. Je n’ai aucune capacité à me concentre longuement sur un article. Le stress d’une nouvelle catastrophe naturelle ne me quitte pas et occupe trop mes pensées. Tout est sujet à parler du covid. Santé, politique, culture, vie de tous jours. Non-stop. Et le nombre de morts quotidiens qui vous achève. Et là, dans la presse locale, quelques lignes attirent mon attention. On y parle de l’arrestation d’un groupe de jeunes qui s’étaient regroupés autour d’un feu la nuit tombée. Je sais que je ne suis pas très frais mais j’arrive tout de même à suffisamment connecter mes neurones et faire le lien entre cette histoire sans importance et ce dont j’ai rêvé. Trop embrouillé pour réfléchir, je suis si fatigué. Je m’allonge en fixant le plafond. Je vide mon esprit et je me sens partir. Loin, Loin...
Une nouvelle fois, je me retrouve dehors, au-dessus de ma résidence. Le soleil est présent et je ressens la chaleur de ses rayons. Des joggeurs longent les trottoirs, des gens masqués sont avec un chariot, d’autres promènent leurs enfants. Pas foule mais l’ensemble donne un semblant de vie. Mon regard se tourne vers la forêt. Piqué par la curiosité, je décide de m’y rendre. Je mets quinze minutes à pieds, cinq en courant. Là, il me faut qu’une poignée de seconde pour y arriver. Pratique. Mais tout est possible dans les rêves. Sauf que jà, j’ai un doute. Juste en dessous de moi, un feu éteint. Je descends jusqu'à ras du sol. J’arrive même à sentir le bois calciné. Tout autour, je constate des traces de passage. Je remonte. Je suis perdu dans mes pensées. Au sens propre et figuré. Je reviens à mon point de départ. Tout est si réaliste. Je peux voir mes voisins entrer dans l’immeuble. Je les suis. Aucun obstacle entrave mon parcours. Me voici à mon étage. Un petit tour chez eux. C'est décoré avec goût. Puis, je rejoins mon appartement. Je me vois allongé, paisiblement. Je regarde l’heure. Quinze heure vingt cinq. Mon chat est allongé sur le sol, étalé de toute sa longueur. Je me réveille. Un coup d’œil sur le téléphone, quinze heure vingt six. Le félin n’a pas bougé. Ce n’était pas un rêve. Je vole.
Le soir, au moment où mes forces me quittent, je renouvelle l’expérience. Tout d’abord, je passe d’un logement à l’autre. Ici on regarde le téléphone, là on dort, et là, on se fait plaisir. Je deviens la commère la plus efficace qui soit. Puis, une fois fait le plein d’intimité, je m’élève. J’ai l’impression de vivre avec les étoiles, d’être une étoile. Pas de limite. Alors, je me décide d’aller faire visite aux gens de ma famille, mes amis.
Quel plaisir d’être parmi eux. Certes, ils ne ressentent pas ma présence mais c’est comme si je parcourais un album photo vivant. Ils vont tous bien. Quinte de toux.
Plus je voyage, et plus j’expérimente. En un coup d’aile, je me retrouve dans tout le territoire. Je vais au bord de la mer, à la campagne, à la montagne. Je me ressource sur les lieux de vacances de mon passé. J’explore les fonds marins, monte sur les cimes enneigées. Je visite les monuments, les musées. Mieux encore. Je n'ai jamais eu la possibilité de faire de beaux voyages. Et bien là, je me rattrape. Pas de limite dans l’espace, ni dans le temps.
Je décolle, je monte en flèche telle une fusée. Et le sol, de plus en plus petit. Ma ville, ma région, mon pays, ma planète.
Extraordinaire spectacle que de voir notre monde de là-haut. Je me rends compte combien nous sommes pas grand-chose. Je mets le cap sur l’Afrique. Je survole ses déserts, sa savane, ses lacs. Je cours, vole avec les animaux. Douche froide. Je vois aussi la faim, les guerres. Retour en sécurité chez moi. Mais, le lendemain, je renouvelle mon expérience... en mode touristique. Hors de questions que je sois le témoin de la misère humaine. Les temples incas, la forêt amazonienne, la statue de la liberté, le grand canyon, la grande muraille de Chine. Toutes les merveilles du monde, le meilleur de la nature et de l’homme. Chaque retour est plus difficile. Je ne veux pas revenir dans ce corps souffrant, ni en être prisonnier. A l’heure où le monde est confiné, je ne me suis jamais senti aussi libre. Mais j’étais loin d’être arrivé au bout de mes pouvoirs.
En une nuit, je pouvais parcourir des kilomètres sans le moindre effort. Mais, petit à petit, je me frustrais. Certes, je ressentais les odeurs, les températures. Je pouvais aller voir toutes choses, dans leurs moindres détails. Je traversais tous les obstacles.
Mais, j’étais seul, aussi seul que dans mon appartement, car je ne pouvais interagir avec les autres personnes. J’étais comme devant un grand écran, le nec le plus ultra car cela agissait sur tous les sens... Sauf le toucher. Ainsi, je me décidais à tenter une expérience.
Je partis voir mes enfants. Ils dormaient. Je me suis rapproché d’eux, tentant de sentir leur peau, de leur susurrer des mots. En vain. J’étais tel un fantôme. Malgré tous mes efforts pour qu’ils sentent que j’étais auprès d’eux, seul le vide me répondait. Frustré, triste, je décidais de retourner me morfondre dans mon lit. Mon corps est juste au-dessous de moi. Doucement, je m’en rapproche. Un sifflement me stoppe. Debout, auprès de ma carcasse inerte, se dresse mon chat. Il me fixe, le moi transcendantal. Je me fais des idées. Alors, je me déplace. Il me suit du regard. Pas de doute, il me voit. Pas content le matou. En me rapprochant de lui, il se met en position de combat. Alors, je lui parle doucement, l’entoure de ma présence. Ces oreilles captent mes paroles, il hume l’air, il me sent... Peut-être même mon odeur. Et il se met à ronronner. Ainsi, je pouvais interagir avec un être vivant. Le réveil. Je prends mon matou dans les bras. Merci mon bonhomme, tu m’as rendu espoir.
A nouveau, retour auprès de mes enfants. Je tourne autour d’eux. Rien. Je sais que les chats voient des choses qui nous sont invisibles à nos yeux. Peut-être que l’explication est juste là. Il faudra attendre la fin de tout ce bordel pour avoir des contacts avec eux. Je suis dans mes pensées. Enfin à l’extérieur, enfin vous comprenez. Je ne fais pas attention et traverse le corps de ma fille. Des images m’assaillent. Je réitère l’expérience. Et là, je suis au beau milieu d’un rêve de petite fille. C’est mignon. Et parfois terrifiant. Je suis esprit, normal que je sois en contact avec le sien. Je m’invite dans son univers. Et elle me répond. C’est ainsi que j’ai pu discuter avec elle. Je ressens toutes ses émotions... Et évidement sa chaleur corporelle, ses odeurs. Je fais la même expérience avec mon fils. Rêve d’ado gonflé à la testostérone. Il m’est plus familier. C’est ainsi que j’ai pu profiter des êtres qui me sont cher. Ce qui est drôle, c’est quand je les ai eus au téléphone, ils me disent qu’ils ont fait un drôle de rêve dans lequel j’étais présent... On s’y croyait. Moi aussi, au tout début, je pensais que c’était le fruit de mon imagination. Mais non, c’est la réalité, une autre réalité.
En journée, je faisais plutôt des visites touristiques. Les gens dorment rarement à ce moment. Et là, le temps est magnifique. Le soleil brille de mille feux. Je ne sais pas pourquoi, je suis irrésistiblement attiré par lui. Alors, tel un Icare des temps modernes, je m’en rapproche. Je monte haut, très haut. Je suis comme aspiré par lui. Pas de limite, je peux traverser la galaxie. La terre s’éloigne. J’ai de plus en plus chaud. Sans limite. Je fonce vers lui. Je dépasse à la vitesse de la lumière Venus et Mercure. Trop chaud. Je sens que je ne vais pas bien. Je fonds, je vais mourir. Icare, je vous dis.
Je me réveille en sueur dans mon lit. Ma fièvre est très élevée. Je tremble de tout mon corps. Et l’air qui n’arrive plus dans mes poumons. Jusqu’à présent, la maladie n’avait pas été agréable. Elle avait pompé tout mon énergie. La toux gâchait chaque instant. Mais, jamais je ne m’étais senti en danger. Mais là, oui. Contacter mon médecin, contacter le Samu. Mon téléphone n’est pas à porter de main. Au moindre mouvement, je suis en apnée. Impossible de l’atteindre. Je suffoque. Merde, c’est tout de même pas la fin. Je sens que je pars. J’ai plus d’air. Je vais définitivement quitter mon enveloppe charnelle. Pour où? Je risque d’avoir bientôt la réponse. Ou pas.
Je suis plus là... Physiquement. Je suis au-dessus de mon corps agonisant. Impuissant. J’assiste en spectateur à ma fin. Pourtant, pas de long tunnel avec au bout une vive lumière. Pas d’ange joufflu à l’horizon. Si la situation ne s’améliore pas, sûr que je passe l’arme à gauche. Mais, actuellement, la situation est la même que lors de mes voyages. Mes voisins, ma ville, les gens que j’aime, des pays lointains, la galaxie. Un signe. J’ai exploré l’infiniment grand. Est-ce que je peux faire de même pour l’infiniment petit? Oui, l’infiniment petit.
Je me concentre sur mon propre corps. Je ne dois pas le rejoindre mais le pénétrer. Cette fois, pas d’aspiration non contrôlée. Non, c’est de ma propre volonté. Et là, un spectacle tout aussi fabuleux que les étoiles. Je vois mon cœur, le réseau sanguin... J’aurai du mieux suivre mes cours de biologie car je ne comprends rien de ce que je vois. Mais je suis pourtant fasciné par cet univers en moi. Mais je n’ai pas le temps de rêvasser. Si je veux revoir tout ça en vie, il faut que j’aille à la source de ma détresse. Les poumons. Bon, je sais où il est. Et je vois l’étendue du désastre. Le virus. Je le vois infecter mes cellules et se démultiplier. Je fais une surinfection... J’ai vu ça dans une émission. Mon système immunitaire réagit trop fort, je dois le raisonner. Mais comment? Lui parler, me parler... Comme lors des rêves de mes enfants. Je passe de cellule en cellule, naviguant entre les alvéoles. Puis, je remonte jusqu'à mon cerveau. Allez, un petit effort. Pas une discussion, mais des incantations. Je suis fou. Ça ne peut pas marcher. Et pourtant, lorsque je reviens dans l’organe respiratoire, la tempête semble se calmer. Je suis aspiré.
Je me réveille. L’air entre massivement. Je respire. J’ai réussi. La force de l’esprit sur le corps. Rapidement mon état s’est amélioré. La fièvre a disparu en premier. Puis, plus lentement, la toux. Mais plus jamais de détresse. Mes nuits sont calmes... Et mes journées plus actives... Physiquement. Je n’ai plus jamais réussi à me transcender. Cela avait certainement un lien avec la maladie. Je voulais la fuir d’une manière tellement absolue. Mais, aujourd’hui, je veux profiter. Et dès la fin du confinement, prendre mes enfants dans les bras, rire et discuter avec ma famille et mes amis... Et un jour, faire le tour du monde.
Et le ciel peut attendre.
Ceux qui n'peuvent y couper
S'embarquent bien qu'étant exposés
Et vaquent...
Les usagers, les gens âgés
Les gens
Mains dans les poches, droit comme un i
Avec la porte pour seul appui
Virages, freinages je négocie
Ermont – St-Gratien – Epinay – Gennevilliers
Mes congés...
Autant ne pas trop y penser
Dans ces stations virucidées
Ils vont et viennent de je n'sais où
Les gens debout les gens à bout
Les gens
Et r'prennent le collier malgré tout
Se précipitent ou restent à quai
Pont de l'Alma – Invalides – Musée d'Orsay
Mon droit d'retrait
Autant ne pas trop y penser
A' chaque arrêt : Rester stoïque
Si...
In extremis ils rappliquent
Avant qu'la rame se r'mette en route
Ou bloquent les portières coûte que coûte
Les gens qui poussent, les gens qui toussent
Les gens
Saint-Michel – Notre-Dame - Paris-Austerlitz
Ma prime de risque
…
Oui comme vous dites
Dans une des poches de mon veston
J'ai planqué mon attestation
Et regarde avec suspicion
Comme si'j'pouvais leur reprocher…
Les débauchés, les gens fauchés
Les gens
Ivry-sur-Seine – Villeneuve le roi – Ablon
Ma réanimation
Sur la banquette en arrière fond
Un cadre fait la conversation
Et je capte bien malgré moi
Son profil et sa profession
Ses musts, ses deals, son agenda
Son prochain salon, ses happenings
L’heure exacte du grand debriefing
J’aimerais tant lui mettre la sourdine
Pour qu’il respecte un tant soit peu
Les gens qui triment, les intérims
Les gens
Juvisy – Savigny sur Orge
Ma morgue
Pour mes congés définitifs
Et mon départ sans préavis
J’ai manqué d’changer à Choisy
Et d’filer direct à Rungis
Pas question d’revenir en arrière
Tant qu’je respecte les gestes barrières
Fidèle à mes compagnons de galère
Les infirmières, les gens d’Bruyère
Les gens d’Lardy, les apprentis
Les gens
Brétigny – Marolle en Hurepoix
Mon karma
Un p’tit jardin, un lit, un toit
Mon chez moi
J’aurais dû prendre une chambre de bonne
Au lieu d’m’encroûter dans l’Essonne
Ou plutôt pas
Les transports, la vie, les peines, les joies
Je vous envoie une ordonnance
Que vous lirez à votre convenance
Entre deux accrétions
Je viens de recevoir
Mon résultat brutal
Pour partir à l’hôpital
Avant de passer au crachoir
Monsieur le Virus qui prolifère
Je ne vous laisserais pas faire
Je protégerais mes soignants
Avec des masques et du désinfectant
C’est pas pour vous narguer
Il faut que je vous explique
Ma décision est prise
Je m’en vais lutter
Depuis que je suis en infection
J’ai vu mourir des médecins
J’ai vu trimer des infirmières
Et pleurer leur manque de protection
Des gens ont tant souffert
Depuis que tu existes
Le monde tourne à l’envers
Et il reste à couvert
Quand j’étais malade
On m’a volé ma liberté
On m’a tenu confiné
Mais des héros m’ont soigné
Ce soir ce n’est pas anodin
Je fermerais ma porte
Au nez de tous les microbes
Je n’irais pas par les chemins
Je garderais ma vie
En fermant mes fenêtres
De mon petit 2 pièces
Et je dirais aux hospitaliers
Merci de ne pas baisser les bras
Merci de ne pas vous laisser aller
Ne vous faites plus infecter
Tous ensemble on te vaincra
S’il faut des gestes barrière
Je n’éternuerai pas dans ma main
Je trouverais un vaccin
Monsieur le Virus sans frontière
Si vous me poursuivez
Prévenez vos miasmes
Que je suis sans sarcasmes
Et que je vais t’éradiquer
Et que je vais t’éradiquer
Et que je vais t’éradiquer
D'après Le Déserteur de Boris Vian, 1953
Par tous temps
Par toutes heures
En plein confinement
Sans conditions, aux autres gratuitement
Tu as donné ton temps.
Sans compter tes heures
Sous le vent, le soleil, la bruine, la pluie
Dehors tu as servi
En maraudes, en épicerie
À la croix rouge
Ou d'autres associations.
Et c'est cela qui importe,
Tu étais dans l'ombre.
Aux contacts certes distanciés.
Mais tu as fait de ton mieux
Avec ce dont tu disposais.
Et si donner c'est recevoir
Alors tu as beaucoup reçu
Gestes barrières
Gestes frontières
Gestes difficiles d'éloignement
Pour un acte de rapprochement.
Difficile de donner satisfaction
Avec un mètre de distanciation.
Difficile de se comprendre
Difficile de s'entendre
À travers un masque de protection.
Certains ont râlé, certains t’ont menti.
Mais tous t'ont dit Merci.
Et si donner c'est recevoir
Alors tu as beaucoup reçu
Bénévole de l'ombre
Dans ta sociale épicerie
Bénévole de l’oublie
Même si la file était longue
Tu es resté jusqu’à ce qu'elle soit finie
Et c'est cela qui importe
Pour toi bénévole
Tu ne réclames rien, pas de sous,
Pas d’augmentation.
Tu donnes avec abnégation
À ceux qui ont pris un sale coup
À ceux qui sont tombés à genoux
Car tu étais là, toi le bénévole
Bénévole à vie, bénévole d'1 jour
Bénévole toujours
MERCI
Tout a commencé par un grand boum, cela m'a réveillé. J'étais sur le sol, dans le noir, un noir total, absolu. Où suis-je ? me demandais-je.
En cherchant un interrupteur, mon genou a heurté un meuble, une table peut être ?
Les bras tendus, j'avançais jusqu'à rencontrer un mur.
Je l'ai suivi et en ai fait le tour. J'étais dans une pièce rectangulaire de trois mètres sur sept environ. Il y avait un meuble contre un des murs, une sorte de buffet, mais pas de porte dans cette pièce, ni même une fenêtre, juste des murs froids. J'ai crié, crié pour qu'on me sorte de là pendant de longues minutes, jusqu'à en avoir la voix cassée.
Personne n'a répondu. Je n'entendais aucun son venant de l'extérieur. En collant mon oreille contre un des murs, j'ai enfin entendu quelque chose : des bruits d'eaux, parcourant des tuyaux, sûrement. Mais c'était faible et lointain.
J'ai reculé en poussant un cri étouffé à cause de ma voix cassée, quand j'ai senti une présence rampant sur ma main. Je l'ai dégagé d'un geste violent. Était-ce une araignée, un cafard ? Je n'avais pas envie de le savoir.
J'ai parcouru la pièce à quatre pattes. Il y avait une table, des chaises et un canapé. Je m'y allongeais, la tête me tournait et mon cœur battait la chamade, une crise de panique commençait.
Au bout de plusieurs minutes de pleurs, je parvins à réagir. Ce n'était pas seulement la panique qui me faisait tourner la tête, mais aussi la faim et la soif. J'avais repéré le chemin jusqu'au buffet que j'atteignis facilement sans me cogner. Il possédait quatre portes et deux tiroirs.
J'ouvris la première porte et trouvais à l'intérieur des classeurs, des feuilles, des stylos, une boite à couture et d'autres objets que je ne parvenais pas à identifier. En tout cas ils étaient métalliques et froids.
Bingo pour la deuxième porte : des bouteilles, certaines en verres, d'autres en plastiques et un paquet. En le prenant dans mes mains, je sus tout de suite que c'était un paquet de chips. Je l'ouvris et l'odeur me fit saliver. Saveur vinaigre : pas ma préférée mais le sachet fut englouti en cinq minutes.
Si j'avais su que ce serait ma seule nourriture non rampante pendant plusieurs années, j'aurais fait durer ce paquet plusieurs mois. Le ventre plein, je pris une bouteille visiblement entamée et une odeur de whisky s’échappa lorsque le bouchon fut dévissé. J'en avalais deux gorgées. J'ouvris ensuite les tiroirs. L'un contenait des papiers et l'autre des couverts.
Une envie pressante arriva subitement. Je pris un couteau et une bouteille en plastique quasiment vide. Elle contenait un soda éventé, sans goût. Je coupais le haut de la bouteille. Mais même ainsi ce ne fut pas simple.
Une fois fini, qu'allais-je faire de la bouteille ? J'enlevais des classeurs de la première porte que j'avais ouverte et l'y mis. Je parcouru la pièce, encore une fois à tâtons, couteau en main. Je tapais contre le mur avec le manche, cherchant un endroit fragile pour creuser un trou.
Ne trouvant pas d'endroit qui me paraissait moins solide que d'autre, je creusais le mur au hasard. Au bout de quelques minutes, un coup donné un peu plus fort fit râper la lame qui m'entailla le bras.
Je sentis le sang couler jusque sur ma main et m’évanouis.
La douleur me réveilla, je ne saurais dire au bout de combien de temps. Je passais ma main le long de la blessure qui continuait de saigner et faisait deux centimètres de long. Je ne sais pas de quelles forces j'ai dû user pour aller jusqu'au buffet et prendre la trousse de couture, un fil, une aiguille, désinfecter mon bras et l'aiguille avec du whisky puis me recoudre.
Mes cris de douleurs achevèrent ma voix. Après d'atroces souffrances, j’eus enfin fini de me recoudre. Je m’évanouis pour la seconde fois de cette première journée, dans cette pièce qui serait ma « prison » pour de nombreuses années encore.
Bonjour les amis de Paris ! Comment allez-vous ?
Très bien et vous ? Oui très bien merci beaucoup.
Nous possédons de vous proposer le pagode de Vincennes à Paris ça vous dit ?
Oui c’est superbe, comme je connais le pagode de Vincennes à Paris.
Puisque vous connaissez le pagode de Vincennes à Paris avec le beau temps avec du soleil dans ce cas allons-y.
Alors ? Comment ça se passe au pagode de Vincennes ?
Ecoute, le pagode de Vincennes à Paris ça se passe largement super bien avec des amis de l’association KIA (Khmer d’ici et d’ailleurs), on a pique-niqué au pagode de Vincennes à Paris.
Regarde, il y’a des belles femmes au pagode de Vincennes avec leur tenue traditionnelle cambodgienne !
Ah !! Oui !! Il y’a des belles femmes au pagode de Vincennes à Paris !!
Nous avons écouté la musique KYH klayaphandz du Cambodge car c’est une très bonne ambiance de musique avec le producteur Sok Visal. Le lendemain matin, j’ai rencontré Sahanau Bertin Keo au bistrot du carrousel du Louvre pour présenter l’association KIA (Khmer d’ici et d’ailleurs).
Pour le beau temps avec du soleil, j’irai à la fête avec des amis de l’association, mais il est temps qu’on y va tous ensemble !
Chaque année, je connais le pagode depuis tout petit pour le souvenir du pagode de Vincennes à Paris.
Tu as vu le pagode de Vincennes Sahanau ? Il fait 8000 mètres de carré le pagode de Vincennes !
Mais oui Sotha il fait 8000 mètres de carré notre pagode de Vincennes à Paris !
Je paris que y’a beaucoup de français qui est passionné sur le Cambodge surtout nous tous, même si on va chez Pierre-Yves de la fondateur Airvata au Cambodge mais a Banlung.
Allez hop en route pour notre pagode de Vincennes à Paris avec l’association KIA (Khmer d’ici et d’ailleurs), avec le beau temps nous allons profiter du pique-nique !
Oui c’est une très bonne idée, pique niquons dehors avec le beau temps pour le printemps et l’été.
Réglement
La participation vaut pour acceptation des conditions ci-après citées :
Le participant confère à Saint-Quentin-en-Yvelines à titre gratuit et non exclusif pour la durée légale de protection des droits d’auteur prévue en France portant sur son Texte, le droit de reproduire et de représenter sur tous supports son texte (ci-après dénommé « le Texte »), à titre promotionnel uniquement et à l’exception de toute exploitation commerciale, conformément à la réglementation française et communautaire applicable et notamment aux dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle, aux fins des utilisations définies ci-après :
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